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Dossier

Médecine des voyages : l’heure du protectionnisme ?

Ces maladies tropicales qui arrivent en France

Publié le 20/06/2014
Ces maladies tropicales qui arrivent en France


GUSTOIMAGES/SPL/PHANIE

À la veille de l’été les concepts en matière de médecine des voyages évoluent. Pour le paludisme, certains experts proposent de lever le pied sur la chimioprophylaxie pour certaines zones d’Amérique latine ou d’Asie du Sud-Est... Mais, dans le même temps, la vigilance vis-à-vis de maladies importées s’accroit dans l’Hexagone, tandis que la menace du chikungunya se précise.

Après la tentation du protectionnisme économique, celle du protectionnisme médical ? Alors que classiquement, la médecine des voyages se concentre sur la protection des voyageurs en partance, depuis peu les spécialistes de la discipline mettent aussi l’accent sur les maladies infectieuses rapportées par les globe-trotters et le danger potentiel qu’elles constituent pour la population française.

Les dernières recommandations sanitaires pour les voyageurs, parues début juin, donnaient déjà le ton, avec pour la première fois, tout un chapitre dédié à la prise en compte de ces maladies d’importation « souvent d’apparence banale au retour de voyages, mais susceptibles de générer des problèmes de santé publique en France par leur capacité à s’y implanter ».

La DGS a confirmé la tendance en alertant la semaine dernière sur les risques potentiels d’arbovirose en métropole. Au même moment, les infectiologues français réunis à Bordeaux pour leur congrès annuel* se penchaient sur les maladies infectieuse émergentes et leur possible implantation dans l’Hexagone.

Dengue, chikungunya mais aussi coronavirus ou bilharziose, etc., de nombreuses pathologies « tropicales » menaceraient donc désormais la France ?

Le chikungunya menace la Métropole

Concernant le chikungunya – et dans une moindre mesure la dengue – tout le monde semble s’accorder sur la réalité et l’imminence de la menace. Selon Marie Claire Paty (INvS), qui s’exprimait sur le sujet à Bordeaux, toutes les conditions sont réunies pour que ces arboviroses puissent s’implanter sous peu en métropole. Avec désormais la présence sur notre territoire d’un des vecteur de ces maladies, le fameux moustique tigre (ou moustique Ædes albopictus). Inconnu sous nos latitudes jusqu’en 2004, cet arthropode est aujourd’hui installé dans 18 départements du sud de la France « et pourrait bien concerner Paris dès l’été prochain », estime le Pr Eric Caumes (président du Comité des maladies liées aux voyages et des maladies d’importation du HCSP).

Dans le même temps, les départements français d’Amérique (DFA), font face depuis le début de l’année à une forte épidémie de chikungunya, avec en Martinique plus de 35 000 cas probables déjà recensés alors que l’épidémie n’a toujours pas atteint son pic épidémique. Même chose en Guadeloupe où 6 000 cas suspects ont été dénombrés pour la seule semaine du 2 au 8 juin.

Dans ce contexte, l’importation de cas virémiques semble inévitable d’autant que les échanges entre DAF et métropole sont intenses. Des études ont d’ailleurs montré que le nombre de cas importés d’arboviroses recensés en Métropole chaque été est fortement corrélé au nombre de cas observés dans les département d’outre-mer. Mais, jusqu’à présent, l’absence ou la présence limitée du moustique tigre dans l’Hexagone avait permis d’éviter la diffusion locale de la maladie, avec seulement deux cas autochtones de dengue et de chikungunya rapportés en 2010 à Nice et Fréjus et 1 cas autochtones de dengue décrit dans les Bouches-du-Rhône en 2013.

Cette année, la donne a changé et la probabilité de diffusion et d’implantation de la maladie est maximale puisqu’il suffit qu’un individu virémique, soit piqué par Aedes albopictus et que ce dernier transmette le virus à un autre individu à l’occasion du repas sanglant suivant.

Par ailleurs, « le fait que la population métropolitaine soit pour le moment naïve vis-à-vis du chikungunya favorisera la diffusion du virus », souligne le Dr Paty. Globalement, un malade infecté peut en « contaminer » trois autres. D’où un risque réel d’épidémie.
 

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Signalement renforcé

Face à cette éventualité la DGS se dit prête. Depuis 2006, le ministère de la Santé a mis en place un dispositif de lutte contre le risque de dissémination de la dengue et du chikungunya en France métropolitaine.

Outre une surveillance entomologique (surveillance des populations de moustiques) renforcée depuis le 1er mai, ce plan met l’accent sur la lutte antivectorielle. Et prévoit la sensibilisation des personnes résidant dans les zones où le moustique tigre est présent et actif, afin de détruire autour et dans leur habitat toutes les sources d’eaux stagnantes, gîtes potentiels de reproduction des moustiques. Mais, pour le moment, « les Français n’ont absolument aucune culture de la lute antivectorielle », regrette le Pr Caumes.

En parallèle, le plan instaure aussi une surveillance renforcée des cas humain d’arbovirose. La dengue et le chikungunya sont des maladies à déclaration obligatoire. Mais le plan renforce cette disposition en instaurant, dans les départements où le moustique Aedes albopictus est implanté, le signalement de tout cas suspect sans attendre la confirmation biologique, et ce jusqu’au 30 novembre. Globalement, est considéré comme cas suspect de chikungunya toute personne présentant une fièvre › 38,5° brutale et des douleurs articulaires invalidantes, en l’absence autre point d’appel infectieux. Et comme cas suspect de dengue toute personne présentant une fièvre › 38,5° brutale, et au moins un signe algique (céphalées ± arthralgies ± myalgies ± lombalgies ± douleur rétro orbitaire), en l’absence autre point d’appel infectieux.

Des arbovirus pas si bénins que ça

Reste à savoir dans quelle mesure ce dispositif suffira ou non à limiter, sinon prévenir, la circulation de ces virus. Reste à aussi à savoir comment le corps médical sera apte à faire face à une éventuelle épidémie en pleine période estivale… Car si, dans la majorité des cas, la maladie se « limite » à une fièvre et des athralgies régressives avec ou sans séquelles, dans certains cas, le tableau peut être plus sévère et imposer une prise en charge spécifique et une hospitalisation.

Une étude présentée à Bordeaux a permis de préciser les caractéristiques de 88 patients hospitalisés aux Antilles pour chikungunya. Cette série montre que les taux d’hospitalisation sont particulièrement élevés parmi les nourissons (18,5 cas /10?000 habitants contre 1,2 en population générale) et les sujets âgés (3,5). Elle confirme aussi l’existence de formes inhabituelle (avec convulsion et atteintes cardiaques) parfois sévères (une encéphalopatie, une défaillance cardiaque, une hépatite et une thrombopénie rapportées).

À plus long terme, un autre arbovirus pourrait aussi s’inviter en France : le virus Zika. Egalement transmis par les moustiques de type Aedes ce nouveau venu est en train de sévir en Polynésie française. Il entraine des syndrome de type « dengue-like » associant, à des degrés divers, des arthralgies, des œdèmes des extrémités, une fièvre modérée, des céphalées, des douleurs rétro-orbitaires, une hyperhémie conjonctivale et de?éruptions maculo-papulaires. Les signes persistent généralement de 2 à 5 jours. Mais, là encore, l’analyse rétrospective des premier cas montre qu’il pourrait être moins bénin qu’il n’y paraît, comme l’a expliqué le Dr Henri Pierre Mallet (responsable du bureau de veille en Polynésie française) à Bordeaux. Avec semble-t-il un risque accru de syndrome de Guillain- Barré ultérieur chez les personnes infectées.

Coronavirus : un risque « faible mais bien réel »

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à côté des arbovirus, les virus grippaux aviaires (H5N1 mais aussi H7N1) et les coronavirus font toujours parler d’eux et continuent de sévir dans certains coins du globe. Avec, là aussi, un risque pour la France, « faible mais bien réel », selon le Pr Caumes.

Concernant le coronavirus MERS, l'OMS a estimé mardi, après sa 6e réunion d'urgence sur le sujet, que la situation reste « grave » mais n'a pas déclaré d’« état d'urgence » en raison notamment de l'absence de transmission?interhumaine durable du virus. Pour l’OMS, la vigilance doit rester de mise, en particulier compte tenu de l'augmentation des voyages prévus vers La Mecque pour la Omra (petit pèlerinage), le Ramadan et le Hajj (grand pèlerinage) en Arabie saoudite, premier foyer de la maladie. « Même si aucune mauvaise surprise n’a été constatée cette année au retour du pèlerinage à La Mecque, comme cela avait été redouté par beaucoup d’experts, il est nécessaire de rester vigilant vis-à-vis de ces coronavirus », confirme de son côté le HCSP.

Selon les dernières recommandations sanitaires aux voyageurs, d’autres pathologies infectieuses moins « exotiques », mais tout aussi préoccupantes pourraient aussi franchir nos frontières comme les infection à bactéries hautement résistantes et émergentes (BHRE) ou les tuberculoses multirésitantes voire même la rage ! Avec pour toutes ces pathologies un seul mot d’ordre : « savoir reconnaitre les situations à risque et savoir alerter ». Par ailleurs, « il va aussi falloir renouer avec la culture de l’isolement », conclut le Pr Caumes. g

*15e sJournées nationales d’infectiologie (Bordeaux, 11-13 Juin 2014).