Dr. Jean-Marcel Mourgues, vice-président du CNOM

« Les mouvements correctifs ne se traduisent pas encore en un meilleur accès aux soins»

Publié le 21/05/2021
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Quelles sont les disciplines dans lesquelles on manque de bras ? Quelles évolutions prévoir à moyen terme ? Et quels correctifs envisager à court terme ? Le vice-président du Conseil National de l’Ordre des Médecins fait le point.

Comment en sommes-nous arrivés à une pénurie de spécialistes dans certains secteurs ?

Par l’abaissement du numerus clausus, qui est allé trop loin entre 1985 et 2000. L’objectif était de réduire le déficit budgétaire de l’Assurance maladie en réduisant le nombre de prescripteurs. Quand il a été clair que cela ne permettait pas un retour à l’équilibre financier, le numerus clausus était déjà trop bas pour correspondre aux besoins de santé de la population française. La mauvaise évaluation de ces besoins a participé à la pénurie. La croissance démographique, l’allongement de l’espérance de vie lié aux progrès de la santé publique et de la médecine, n’avaient pas été suffisamment anticipés.

Et à ce jour, comment qualifier la situation actuelle ?

Aujourd’hui, nous sommes arrivés à une phase de plateau, et non plus d’accentuation de la pénurie. Nous estimons qu’elle commencera à se résorber à partir de 2025. Dans quelques années, les jeunes médecins qui ont connu un numerus clausus supérieur à 8 000 places remplaceront les médecins qui partiront à la retraite et dont le numerus clausus était à moins de 6 000. Le solde va sensiblement croître et devenir positif. Attention toutefois à ne pas former trop de médecins pour ne pas retomber dans les discussions des années 80 et 90, et prendre en compte la dénatalité.

Mais comment mieux répartir les effectifs parmi les spécialités ?

Les choix par filière ne sont pas toujours heureux et certaines sont plus affectées par la pénurie. La médecine scolaire, par exemple, a besoin d’une revalorisation car il y a un vrai différentiel de rémunération par rapport aux autres spécialités. Concernant les ophtalmologistes ou les psychiatres, il y a eu une évaluation insuffisante de l’augmentation des besoins. Il y a des mouvements correctifs mais ils ne se traduisent pas encore en un meilleur accès aux soins. La pyramide d’âge des psychiatres montre la rectification d’une évaluation qui a été trop rigoureuse, le nombre des 30-39 ans dépassant celui des 40-49 ans. Chaque spécialité a ses spécificités et l’ouverture du nombre de postes adaptés relève des universités.

La délégation de tâches est-elle une solution ?

La coopération interprofessionnelle peut aider à faire face à la pénurie. Les champs de compétences en sont réévalués, mais il ne faut pas risquer de le faire au détriment du soin ou d’avoir plus tard des professionnels de santé formés en nombre, mais dessaisis de compétences. Il ne faut pas exagérer le mouvement sous la pression du moment.

Comment tenir en attendant la relève ? Quels leviers seraient efficaces à court terme ?

Un train de mesures peut améliorer les années difficiles que l’on a encore devant nous. Une meilleure adéquation des lieux de stage et l’ouverture d’hôpitaux privés pourraient limiter les inégalités territoriales. Il n’y a pas assez de stages agréés au sein des établissements hospitaliers privés. La connaissance d’un établissement et d’un territoire est un facteur important dans le choix du médecin. Les jeunes médecins sont aussi attentifs aux réseaux de soins, à la coordination entre professionnels. Enfin, prévoir les besoins optimaux, la population de demain et les champs de compétence est une équation très complexe, avec de multiples inconnues. Il est nécessaire de pouvoir réviser les prévisions plus régulièrement, pour plus de souplesse et de remise en cause.

Propos recueillis par Gaëlle Caradec

Propos recueillis par Gaëlle Caradec

Source : Le Quotidien du médecin