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Dossier

Contact tracing : médecins et brigades main dans la main

Par Loan Tranthimy - Publié le 26/05/2020
Contact tracing : médecins et brigades main dans la main

Si le patient est testé positif, la consultation d'annonce (ou téléconsultation) est facturée 55 euros (G+MIS)

La stratégie de déconfinement s’appuie sur un dispositif visant à casser les chaînes de contamination grâce à l’identification, au suivi et à l’isolement des personnes malades et contagieuses. En lien avec d'autres intervenants, les médecins vont-ils jouer le jeu  ?

Pour prévenir une éventuelle deuxième vague, la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire a fait des médecins généralistes les chevilles ouvrières du circuit de « contact tracing ».

Le schéma théorique est connu : en première ligne, les médecins sont tenus de déclarer le patient positif et d'identifier a minima les personnes résidant au foyer du patient infecté. Le médecin a la possibilité d’assurer également l’identification des personnes contacts au-delà de celles partageant le domicile que le patient malade. Les informations sont enregistrées sur l'outil Contact Covid, géré par l'assurance-maladie, permettent aux enquêteurs sanitaires de la Sécu de prendre le relais (lire ci-dessous notre reportage).

Frilosité

Mais les médecins de ville sont-ils prêts à jouer le jeu ? Selon une enquête en ligne du « Quotidien » auprès de 132 praticiens, 62 % déclaraient a priori ne pas vouloir participer au traçage des patients contaminés, 27 % se montrant au contraire tout à fait favorables (le reste étant indécis).

Cette réticence affichée s’explique en partie par le fait que le patient peut refuser que les informations le concernant – et plus encore portant sur ses cas contacts – soient transmises à la Sécu. De plus, rien ne contraint formellement les médecins à entamer une enquête et à renseigner les cas proches – même si la loi prorogeant l'état d'urgence fait du Covid de facto une maladie à déclaration obligatoire à titre temporaire. 

Face à ce flou, les praticiens se trouvent parfois face à un dilemme, partagés entre l'éthique du consentement et la mission de santé publique. Généraliste à Paris, le Dr Gilles N. l’exprime parfaitement. « Ma patiente diabétique qui ne veut plus être traitée pour son diabète a été testée positive. Elle a refusé que je la déclare à l'assurance-maladie. Je respecte sa décision, sinon elle va perdre toute confiance dans le système de soins et on risque de la perdre. »

Intrusif

À Strasbourg, le Dr Alexandre Feltz, reconnaît que cette mission de traçage, même cadrée, peut fragiliser la relation. « Je dois lui annoncer qu’il est porteur de virus mais qu’en plus, il va y avoir une enquête autour de sa vie familiale et professionnelle. Ce n’est pas évident car c’est intrusif. On doit le faire avec tact et mesure. »

Le Dr Alain Assouline, généraliste à Vincennes, a été confronté à une autre difficulté. Il a inscrit quatre patients Covid+ sur l’outil « contact tracing ». « Mais deux patients n’ont pas accepté que l'identité des contacts soit mentionnée. Peut-être que je n’ai pas eu assez d’arguments pour leur faire comprendre l’importance pour la collectivité de recenser ces personnes pour enrayer l'épidémie ». Le praticien, adjoint au maire LR de Saint-Mandé, entend les réticences de ses confrères. « J'ai l'impression que je dois m'affranchir de certaines dispositions liées au secret médical pour aller vite et pour le bien de tous », dit-il. Il craint que « certains patients ne consultent pas par peur d’être fichés »

Adhésion du patient

Installé dans une maison de santé pluridisciplinaire à Vénissieux, le Dr Pascal Dureau a réfléchi avec ses associés au recueil du consentement du patient Covid+. Lors de la consultation, le médecin prend du temps pour expliquer l'intérêt de la recherche des cas contacts et remet un formulaire. « Le patient fait sa déclaration avec les noms des personnes du foyer et ceux qui sont au-delà du cercle familial. C'est la preuve de son adhésion. S’il ne veut pas les communiquer, c'est son droit, on le respecte. Une fois son test confirmé positif, nous enregistrons son déclaratif sur amelipro lors de la consultation d'annonce. C’est à l’assurance-maladie de faire son enquête », assure le généraliste.

Remplaçant à Paris, le Dr Benoît Blaes, président du Syndicat des jeunes médecins généralistes (SNJMG), insiste lui aussi sur l'importance du consentement à tous les étages. « Les patients sont en général très compréhensifs. Quand je peux, j'essaie d'avoir l'accord de chaque membre de la famille. C'est facile en téléconsultation. Sinon, je demande au patient zéro de recueillir ce consentement avant l'appel de la Sécu », témoigne le jeune généraliste.

Intérêt collectif

Les syndicats incitent les médecins à jouer le jeu au moins « pour le patient positif et sa famille ». « Au-delà du cercle familial, ce n'est pas le rôle du médecin d'enquêter, estime le Dr Philippe Vermesch, président du SML. Et quant au secret médical, la caisse ne dévoile le nom du patient zéro que si elle a son autorisation. » « Il faut laisser du temps aux médecins pour qu’ils s'approprient la procédure, temporise Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. Le rôle du généraliste est de convaincre le patient de l'intérêt collectif ». MG France dédramatise également. « La crainte du fichage n'a pas lieu d'être. Un patient peut-il accepter l'idée de cacher à sa famille ou à ses amis qu'ils risquent aussi d'être contaminés ? interroge le Dr Jacques Battistoni, président du syndicat. On doit faire comprendre de l'importance de la recherche des contacts, c'est la seule façon d'empêcher la deuxième vague ».

Loan Tranthimy