C’est ce qui s’appelle monter au créneau. Le Dr Nicolas Bouvier (*) affirme avoir porté plainte la semaine dernière contre le laboratoire Merck pour « tromperie aggravée » dans l’affaire du Lévothyrox. Depuis le changement de formule du médicament, au mois de mars dernier, le généraliste installé à Reims a constaté de multiples problèmes sur sa patientèle suivie pour des troubles de la thyroïde.
« Sur les 20 à 25 patients que je traite, 18 à 20 ont eu à subir des effets indésirables. Légers et transitoires pour certains, sévères et durables pour d’autres », détaille le Dr Bouvier, qui mentionne des crampes, des pertes de cheveux, de la fatigue, des douleurs articulaires… Très à l'écoute de la souffrance de ses patients, le généraliste ne se contente pas des explications fournies par le laboratoire et par les autorités sanitaires. Il souhaite que toute la lumière soit faite sur cette affaire, afin d’en tirer les leçons et « d’éviter que cela ne se reproduise dans le futur ».
LE QUOTIDIEN - Que reprochez-vous à Merck, le fabricant du Lévothyrox ?
DR NICOLAS BOUVIER. Je pense avoir été trompé sur la qualité du médicament que je prescrivais à mes patients. Je leur ai fait courir un risque en leur prescrivant la nouvelle formule du Lévothyrox. C’est pour moi insupportable. Qu’il change ou non sa formule, c’est au laboratoire de garantir la qualité de son produit. A-t-il fait le nécessaire pour s’en assurer ? A-t-il mené toutes les études indispensables avant la commercialisation ? Il y a quatre pays dans lesquels on a constaté des problèmes après des changements d’excipients, la Nouvelle-Zélande, Israël, la Finlande et la Belgique. Des milliers de patients se sont plaints. Il fallait prendre davantage de précautions. C’est du bon sens.
Pourtant, l’ANSM affirme avoir vérifié la qualité du Lévothyrox dans ses laboratoires… Elle explique que le problème relève de l’adaptation des doses.
Je n’accepte pas les explications théoriques des experts qui, jusqu’à présent, n’ont absolument pas examiné les patients, ne les ont pas pris en charge de façon méthodique. On n’a pas eu d’expertise du médicament. On ne sait pas exactement ce qu’il contient. On ne sait pas quelles perturbations ioniques, endocriniennes il peut induire sur les patients.
Quant à la question du dosage, comment expliquer que des effets indésirables persistent chez certains malades alors que leurs taux de T4L et de TSH sont normaux ? Je souhaite que l’on examine plus en profondeur cette question, qu’on prenne en charge tous les patients et qu’on explique avec des arguments scientifiques et médicaux ce qui se passe pour eux.
Les autorités disent avoir alerté les médecins par courrier. Selon vous, il y a eu un déficit de communication ?
Courrier d’alerte ou pas, ce n’est pas ça le problème. Ce qui est en cause, c’est la qualité du médicament. Ce n’est pas parce que le fabricant communique sur un changement de formule que cela l’exonère de fournir un produit de qualité.
Qu’attendez-vous de cette plainte ?
Je veux secouer le cocotier. Je souhaite qu’il y ait une expertise indépendante, dans un laboratoire indépendant, qui fait de la chromatographie de façon indépendante, et qu’on me dise ce qu’il y a dans ce médicament qui a provoqué d’importants troubles chez les patients. Qu’on me dise ce qu’il y a eu dans les différents lots. Il faut savoir ce qui s’est passé pour éviter que cela ne recommence. Mon objectif n’est pas de tirer à vue sur Merck, ni de remettre en cause les autorités sanitaires en qui j’ai confiance. Tout ce que je souhaite, c’est qu’au final, on travaille à l’amélioration de la qualité des médicaments. Pour cela, il faut que l’ANSM ait un pouvoir accru, qu’elle travaille plus étroitement avec tous les professionnels de santé, médecins, infirmiers, sages-femmes… mais aussi avec les associations de patients. Qu’ils soient davantage impliqués en amont dans la chaîne du médicament.
Aujourd’hui, comment vont vos patients ?
Ils ne vont pas très bien. Ils sont encore en difficulté. C’est très compliqué de les prendre en charge. J’ai prescrit de la L-Thyroxine pour un certain nombre, de l’Euthyrox pour d’autres, mais les quantités sont limitées. On fait du bricolage. Ce qui est terrible, c’est qu’on n’avait rien demandé et on se retrouve à gérer ce problème.
Ils vous soutiennent dans votre action ?
J’ai reçu des dizaines de messages. Les gens me remercient de les soutenir et de prendre en compte leur parole. Beaucoup de patients estiment ne pas avoir été respectés dans leur souffrance. Cela me choque énormément.
(*) Installé à Reims, le Dr Nicolas Bouvier est l'auteur de « Médecine. Idées reçues » (édition lulu.com).
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