Les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) sont devenues des patients presque comme les autres. La surveillance à l'hôpital, une fois le contrôle viro-immunologique obtenu, se résume à une consultation 2 fois par an, voire une fois par an. La question de la prise en charge intercurrente en ville se pose avec insistance.
« L'objectif est d'aller vers un suivi alterné et partagé entre infectiologues et médecins généralistes (MG), explique le Pr Philippe Morlat, infectiologue au CHU de Bordeaux et coordonnateur du rapport sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH pour le Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS). Tous les signaux vont en ce sens. Si la maîtrise des antirétroviraux relève du domaine des spécialistes, les MG ont toutes les compétences pour suivre un patient stabilisé ayant une charge virale indétectable et des CD4>500/mm3 ».
Outiller les MG pour le suivi
Ce sont les associations de patients (AIDES, Actions Traitements, Act-up Paris, Sol en si, TRT-5) qui, les premières, ont appelé à formaliser la prise en charge en ville en saisissant la Haute Autorité de santé (HAS) en 2013. « Les PVVIH ont exprimé le besoin d'articuler le suivi de la santé globale avec leur MG, explique Clarisse Fortemaison de l'association TRT-5. De fait, le bilan de synthèse annuel ne se faisait pas toujours à l'hôpital. Il fallait outiller les MG pour le suivi en ville. On est très contents d'avoir participé à ce travail ».
En octobre dernier, l'agence sanitaire a publié un guide pratique pour les médecins généralistes, fruit d'un long travail de concertation et largement élaboré à partir du rapport du CNS (le dernier datant d'avril 2018).
« L'enjeu est de rassurer les médecins généralistes sur leurs compétences et de leur signaler les moments où ils doivent passer la main, explique Franck Barbier de AIDES. Les MG, qui ont en moyenne 2 à 5 patients séropositifs dans leur patientèle, ne se sentent pas très au point. Ce guide est une mise en forme des recommandations existantes pour que les informations soient facilement appropriables. Les médecins de proximité ont un rôle très important dans la prévention primaire et secondaire, notamment pour le tabac ou pour les vaccinations, ces dernières ne faisant l'objet que de quelques variations à connaître chez les PVVIH ».
Le guide se décline en 2 volets, le premier sur l'évaluation globale (vaccins, état nutritionnel, état psychique et cognitif, santé sexuelle, contraception) et le second, plus technique, sur la gestion du risque accru de pathologies associées. « L'objectif prioritaire est le maintien d'une charge virale indétectable », est-il souligné dans le 1er volet. Si le BCG est contre-indiqué quel que soit le niveau de CD4, il faut connaître les recommations spécifiques contre la grippe, le pneumocoque, le VHB, le VHA et HPV.
Pour les comorbidités, la réalisation de certains examens fait l'objet de recommandations spécifiques, notamment pour le risque cardiovasculaire (outil SCORE/an), pour le dépistage du lymphome (aires ganglionnaires au moins une fois par an), pour l'examen de la peau et des muqueuses (1 fois/an).
Le point des interactions médicamenteuses
Un point particulier de vigilance concerne les interactions médicamenteuses (IM), notamment les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), « ce d'autant que certains sont en vente libre », relève le Pr Morlat, ou encore les AINS néphrotoxiques avec certains ARV, les nouveaux anticoagulants. « Les logiciels informatiques de prescription les signalent le plus souvent, indique le Pr Morlat. En cas de doute, il faut chercher l'information dans les résumés caractéristiques du produit (ou le Vidal, les bases de données comme sur le site www.hiv-druginteractions.org ou se tourner vers les collègues référents ».
Le partage avec la ville du suivi des PVVIH stabilisés permet aussi de dégager du temps à l'hôpital pour les patients plus vulnérables. « Ce sont les populations marginalisées, les migrants, explique Franck Barbier. Mais c'est aussi la première génération de patients séropositifs, qui a vécu une histoire médicale difficile et qui a tissé un lien très fort au fil des années avec son infectiologue. Il ne s'agit pas de faire du suivi en ville sans distinction mais d'avoir une offre diversifiée et partagée ».
Un paysage en ville qui se diversifie
La volonté de passer à un suivi en ville peut prendre différents visages. En témoignent le centre 190, le centre de santé sexuelle communautaire, et l'inititiave récente de la Maison du chemin vert, qui a ouvert ses portes mi-octobre à Paris. « C'est un projet de 10 ans, explique le Pr Jean-Marie Girard, infectiologue à l'hôpital Saint-Antoine à Paris. Ce centre rassemble des infectiologues, des MG aguerris au VIH attachés à l'hôpital, une sage-femme, une psychologue, des infirmiers et également une aide psycho-sociale avec l'association Basiliade ».
Ce partenariat avec la ville est un entre-deux inédit. « L'expérience hospitalière des praticiens fait la différence, nuance le Pr Girard. Mais ce n'est pas contradictoire avec la médecine générale. Cela s'inscrit dans une offre de soins diversifiée ». Avec une file active de 1500-2000 patients séropositifs - pas toujours stabilisés -, ce centre de santé comptera 11 médecins fin décembre et une vingtaine en 2019.
Pour le Dr Jean-Paul Vincensini, médecin généraliste à la Maison du chemin vert : « Pour s'investir, les MG ont besoin d'avoir l'assurance d'avoir un correspondant facilement, qui peut être soit un référent hospitalier soit un médecin dans un centre comme le nôtre ». La Maison du chemin vert va ouvrir un site internet avec des fiches pratiques et une boîte de dialogue pour répondre aux questions sous 24 heures. « Le site VIHclic, monté avec le soutien du Corevih par deux jeunes femmes, internes à l'époque, est fantastique, indique le Dr Pauline Campa, médecin généraliste à la Maison du chemin vert. C'est un outil très utile pour les MG ».
Si les MG s'étaient désinvestis du suivi par le passé, les choses sont en train de bouger, avec les jeunes générations à la fois de PVVIH et de médecins. Le suivi VIH a de quoi plaire aux MG. « C'est dans la culture de la prise en charge en infectieux de s'intéresser à la globalité du corps humain et à l'être humain dans son environnement, », souligne le Dr Campa.
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