Non, la pénurie de médecins généralistes ne concerne pas que les communes rurales. Les zones urbaines aussi sont de plus en plus concernées par le vieillissement de leur population… et de leurs médecins. Pour remédier à une situation parfois alarmante dans certains départements, on fait appel aux moyens du bord.
Château-Chinon, Montargis, Laval, Sens ou encore Bergerac. Ces préfectures, ou sous-préfectures de départements, comme beaucoup d’autres, sont concernées par une baisse accrue du nombre de généralistes. Si on évoque depuis longtemps les « déserts médicaux ruraux », le phénomène ne s’est pas arrêté aux portes des agglomérations urbaines. « La grosse préoccupation aujourd’hui, ce sont les villes moyennes et les préfectures où il n’y a pas de faculté de médecine, analyse Luc Duquesnel. Ces centres-villes sont en train de devenir eux aussi des déserts médicaux. » Face à cette urgence – le nombre de généralistes libéraux pour 100 000 habitants tombe à 22 pour certaines régions comme le Centre-Val-de-Loire, pour une moyenne nationale d’environ 80, selon les derniers chiffres du Cnom –, les collectivités territoriales, les ARS, et parfois les médecins eux-mêmes tentent de trouver des réponses pour que demain les populations vivant dans ces zones puissent prendre rendez-vous avec un généraliste sans déplacer des montagnes.
Château-Chinon, dans la Nièvre, est la première sous-préfecture en France à avoir perdu la totalité de ses médecins généralistes en janvier 2015. Un premier s’est absenté pour des raisons de santé, puis deux sont partis à la retraite, et ainsi de suite. « Nous n’avions pas anticipé ces départs, constate Virginie Buteau, vice-présidente de la communauté de communes du Haut-Morvan. On a eu un laps de temps sans praticien pour un bassin d’environ 6 000 patients qui avaient l’habitude de se faire soigner à Château-Chinon. » Ce sont alors les médecins de l’hôpital qui ont pris le relais et ont assuré des consultations durant neuf mois, temps nécessaire pour qu’enfin un praticien refasse son apparition dans la commune. « Aujourd’hui, nous avons l’équivalent de trois temps pleins, ajoute Virginie Buteau. Ils étaient quatre initialement, et il y a encore un peu de délais pour avoir un rendez-vous, mais on est globalement revenus à une situation normale. » Mais, si cette commune a su se sortir de l’impasse, notamment grâce à l’attractivité de sa maison de santé, d’autres entrent tout juste dans le cercle vicieux d’une pénurie de médecins à laquelle il faut remédier, et de manière urgente !
Une pénurie peu anticipée
Parmi les territoires les plus sous-dotés en France, il y a la région Centre-Val-de-Loire, un peu partout touchée. Selon le dernier rapport du Cnom, 30 % des médecins exerçant dans la région ont plus de 60 ans. Anne Leclerq, vice-présidente déléguée à la santé au conseil régional, analyse une situation que les collectivités locales n’avaient pas forcément vu venir : « Notre politique de santé était fondée jusqu’à présent sur l’installation de jeunes médecins en maisons de santé pluridisciplinaires dans les zones rurales, mais on se rend compte que, dans certains quartiers en ville, c’est le même problème. C’est le cas à Orléans ou à Bourges. Nous n’avons donc pas de réponse à donner pour l’instant aux personnes qui n’ont plus de médecin traitant. » Mais l’élue socialiste ne baisse pas les bras : « Nous travaillons avec un noyau dur de médecins encore en activité qui se rétrécit petit à petit, pour essayer de faire émerger des idées. Nous pensons notamment à installer des cabinets satellites, où les médecins travailleraient en réseau, l’exercice isolé étant de plus en plus fui par les jeunes généralistes. »
Une situation d’urgence absolue
Si l’on zoome un peu plus sur la carte régionale du Centre-Val-de-Loire, le département de l’Indre apparaît comme l’un des plus touchés, tant à l’échelle rurale que dans les villes comme Châteauroux, Le Blanc ou La Châtre. Le sud du département, qui représente un bassin de 22 000 habitants, est dans une situation « catastrophique », selon le président du conseil départemental Serge Descout (Les Républicains). Il précise : « Il y a 10 ans, il y avait 210 médecins dans le département. On en est aujourd’hui à 148. »
L’ARS préconise 92 médecins pour
100 000 habitants. Ici, on en est à 50, voire un peu moins, selon les secteurs
Serge DESCOUT
président du Conseil départemental de l’Indre
Malgré les primes à l’installation, la création de maisons de santé, le financement de cabinets secondaires, le résultat n’est pas satisfaisant. « On a pourtant tout fait ! », s’exclame le président Descout. En collaboration avec l’ARS, il devrait dévoiler une liste de mesures qui seront mises en place dans le département pour prendre en charge les patients sans médecin traitant. « Si on me dit que les choses vont s’arranger dans 5-6 ans, ça ne m’intéresse pas. Aujourd’hui, il nous faut des solutions. Selon l’ARS, nous serions au niveau national dans les 5 ou 6 départements les plus touchés. C’est simple, l’ARS préconise 92 médecins pour 100 000 habitants. Ici, on en est à 50, voire un peu moins selon les secteurs. Il y a une urgence absolue ».
Plus au nord, dans la Mayenne, la ville de Laval, elle aussi, tente de répondre comme elle peut aux besoins de sa population. Plusieurs médecins à la retraite, avec le soutien de l’Ordre, de la CPAM et des collectivités locales, mènent depuis quelques mois un projet dans lequel seront impliqués les médecins retraités, qui acceptent de revenir travailler quelques jours par mois (voir encadré). Mais, lorsque des solutions concrètes ne se développent pas localement, comme à Laval, ce sont les services des urgences ou SOS Médecins qui se retrouvent en première ligne. Et encore, il faudrait qu’il y ait assez de médecins pour assurer la pérennité de ce type de plate-forme ! Au Mans (Sarthe), par exemple, les douze médecins de SOS sont partis les uns après les autres, au point que la structure a dû fermer en octobre. « Il reste des gardes jusqu’à minuit en ville, mais les urgences sont engorgées, confie Catherine Brûlé-Delahaye, adjointe au maire du Mans en charge de la santé publique. Si Le Mans était jusqu’à présent épargné par la baisse du nombre de médecins, on sent des difficultés apparaître dans certains quarters, comme celui de la Madeleine. » Rappelons que la Sarthe est un département très impacté par la baisse du nombre de généralistes. Ce dernier est passé sous la barre des 400 médecins en 2015 pour un bassin de population de 500 000 Sarthois.
Travailler autrement
Avoir un médecin dans chaque commune comme au siècle dernier, on sait que c’est terminé
Jean-Pierre DOOR
député-maire, Montargis
À Montargis, dans le Loiret, le député-maire Jean-Pierre Door constate lui aussi « l’embolisation des urgences ». Il ne reste sur l’agglomération plus qu’une cinquantaine de médecins généralistes pour 100 000 habitants. Le projet de maison de santé pluridisciplinaire de l’élu avait d’ailleurs pris plusieurs mois à trouver son généraliste, arrivé finalement en avril 2016. Le cardiologue se désole lui aussi de l’efficacité modérée des mesures prises jusqu’alors pour attirer de jeunes généralistes dans sa commune. « Avoir un médecin dans chaque commune comme au siècle dernier, on sait que c’est terminé. On ne pourra voir le résultat de toutes les mesures prises pour faciliter l’installation de généralistes que dans 10 à 15 ans. Mais, en attendant, il faut trouver des solutions. Des médecins de l’hôpital de Montargis se déplacent dans des maisons de retraite pour des consultations, comme des cabinets secondaires. C’est ce qu’on appelle la “déshospitalisation” ». L'élu, spécialiste des questions de santé du groupe Les Républicains à l’Assemblée, ajoute : « Personnellement, je pense qu’il faut décharger les médecins de certaines tâches. Pour le renouvellement d’ordonnance, je pense qu’il faut donner la possibilité aux pharmaciens de le faire, afin qu’ils mettent un pied dans la coordination des soins. On a déjà fait un pas avec la vaccination antigrippale, il faut continuer. » Des professionnels de Bergerac, sous-préfecture de Dordogne, militent également pour faire renouveler des ordonnances par des pharmaciens. Notamment pour les patients en ALD qui ne peuvent plus se rendre chez un médecin généraliste de manière régulière ou qui n’ont plus de médecin traitant. Une douzaine de pharmaciens de la commune, qui compte 22 généralistes pour 28 000 habitants – un chiffre pour l’instant dans la moyenne nationale –, ont récemment interpellé Marisol Touraine afin d’obtenir un droit exceptionnel de renouvellement pour tous les patients sans médecin traitant. Une demande qui sera soumise prochainement aux pouvoirs publics. De son côté, le président de l’Ordre de Dordogne, le Dr Max Desfrançois, relativise en affirmant que « Bergerac a perdu une dizaine de généralistes sur 4 à 5 ans environ », mais que « la ville reste moins touchée que l’ensemble du département, le plus impacté en région Aquitaine ».
Aux quatre coins de la France, des idées émergent pour répondre à une pénurie de MG qui fut peu anticipée, surtout en ville. La problématique est aujourd’hui au centre des préoccupations. On essaie d’assurer la qualité des soins mais avec moins de praticiens. Une équation difficile à résoudre...