Délai diagnostique dans les cancers de l’enfant

La « biologie » de la tumeur est déterminante

Publié le 27/06/2013
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Crédit photo : PHANIE

La mise à disposition de nouveaux outils diagnostiques n’a eu aucune influence sur les délais diagnostiques des cancers de l’enfant : en 30 ans, ils sont restés d’une remarquable stabilité, avec des variations liées au type de tumeur : 2 à 3 semaines pour les leucémies, les lymphomes non hodgkiniens, les tumeurs rénales et les neuroblastomes, 6 à 8 semaines pour la maladie de Hodgkin, les rhabdomyosarcomes, les tumeurs germinales malignes abdominales et les rétinoblastomes et 2 à 4 mois pour les tumeurs osseuses, les sarcomes des tissus mous et la plupart des tumeurs cérébrales. C’est ce qu’indique une revue systématique de la littérature (98 études publiées) (1) qui a également examiné les déterminants et les conséquences des délais au diagnostic de ces cancers. D’après cette analyse, les déterminants de longs délais diagnostiques sont : l’âge élevé de l’enfant, la spécialisation du médecin consulté, la non-spécificité des symptômes et la localisation de la tumeur. Interviennent également des facteurs spécifiques à chaque tumeur tels la présence de signes endocriniens ou d’allure psychologique qui allonge le délai diagnostique des tumeurs cérébrales ou encore l’existence de douleurs osseuses et la normalité de la numération également associées à un délai plus long pour le diagnostic des leucémies. Pour certaines tumeurs un lien a été parfaitement établi entre un long délai diagnostique et une gravité plus importante de la maladie. C’est le cas de façon indéniable pour le rétinoblastome où un long délai diagnostique est associé à une invasion locale plus importante, potentiellement source de séquelles voire de décès. Ce lien existe probablement aussi, même si les études sont relativement peu nombreuses, pour les leucémies aiguës, le néphroblastome et le rhabdomyosarcome. En revanche ce constat n’est pas fait pour la plupart des tumeurs cérébrales et osseuses ; c’est même parfois une association inverse qui est retrouvée, entre un long délai diagnostique et un pronostic paradoxalement favorable. Une association qui pourrait s’expliquer en fait par la « biologie » de la tumeur : les tumeurs de croissance lente et localisée donneraient des signes cliniques discrets, évoluant longtemps avant que le diagnostic ne soit porté ; à l’inverse les tumeurs de croissance rapide auraient très vite une expression clinique évidente conduisant au diagnostic dans des délais assez brefs, alors que la tumeur est déjà très évoluée. C’est donc la « biologie » de la tumeur qui est en cause dans ces associations. Et il n’y a en aucun cas bien entendu de lien causal entre allongement du délai au diagnostic et amélioration du pronostic. Enfin pour certaines tumeurs : neuroblastome, lymphomes hodgkiniens et non hodgkiniens, sarcomes des tissus mous, les données sont insuffisantes pour déterminer les conséquences éventuelles d’un long délai diagnostique.

Expertises judiciaires

Les auteurs de cette étude ont également réalisé une analyse rétrospective des expertises produites lors de 56 procédures menées entre 1 995 et 2 011 en France et au Canada pour retard au diagnostic de cancer chez l’enfant et les ont comparées aux données de la littérature. Dans 18 cas (32 %), les rapports des experts étaient concordants avec les données de la littérature sur les conséquences du retard diagnostique ; dans 14 cas (25 %) ils étaient discordants et dans 24 cas (43 %) leurs conclusions n’étaient pas soutenues par les données de la littérature. Cette analyse, précisent les auteurs, n’avaient pas pour but de remettre en question la validité des expertises. Les plaintes déposées peuvent en effet l’être pour d’autres raisons que la longueur du délai diagnostique, la présomption d’une négligence du médecin par exemple. De plus, notent-ils également, les conséquences d’un retard au diagnostic pour un patient donné peuvent être différentes de celles constatées sur une cohorte de patients.

Les données de cette étude, précisent les auteurs, ne doivent pas conduire à sous estimer l’importance d’un diagnostic et d’une prise en charge précoces des cancers de l’enfant. Mais, concluent-ils, savoir que le délai diagnostique dépend essentiellement de la biologie de la tumeur et de son extension et non l’inverse et qu’il n’est pas nécessairement associé à une issue défavorable peut être d’un certain réconfort pour les parents et les médecins de premier recours.

D’après une communication du Dr Jean-François Brasme (INSERM U 953, Hôpital Necker-Enfants Malades, Paris)

 Dr Hélène Collignon

Source : Le Quotidien du Médecin: 9254