« Si nous voulons maintenir en France un accès le plus large possible aux médicaments innovants du cancer, il va falloir réfléchir à la mise en place de solutions tout aussi innovantes dans le remboursement de ces traitements. Et on ne pourra y parvenir que dans le cadre d’une large concertation de tous les acteurs concernés : les industriels, les agences d’évaluation, les payeurs et les médecins prescripteurs », indique le Pr Jean-Luc Harousseau, le président du collège de la Haute Autorité de santé (HAS).
Cette question du prix des molécules anticancéreuses est désormais un sujet de préoccupation, y compris aux États-Unis. « Là-bas, l’évolution des prix est, il est vrai, assez spectaculaire. Dans les années 1990, le coût moyen d’un traitement du cancer était d’environ 10 000 dollars par an alors qu’aujourd’hui, on dépasse 100 000 dollars. Et nos collègues américains, qui jusque-là s’intéressaient assez peu à ces problèmes médico-économiques, commencent à prendre la parole sur le sujet. Pour la première fois aussi, une session plénière de l’ASCO a été consacrée à cette question du prix des molécules », constate le Pr Harousseau.
Premier acteur concerné par ce dossier : les industriels. « En général, ils justifient le coût élevé des molécules par leurs dépenses de recherche-développement (R/D). C’est un argument qu’on peut entendre car cette recherche est certes coûteuse. Mais on peut aussi faire valoir que cette recherche R/D est d’un coût très inférieur aux bénéfices générés par les médicaments une fois sur le marché. Et il faudrait plus de transparence de la part des firmes sur le coût réel de cette recherche. Ensuite, les firmes justifient ces prix élevés par les bénéfices apportés par ces médicaments innovants. Mais là encore, la question peut faire débat. Et je sais que de nombreux cancérologues, et j’en fais partie, estiment que le coût des molécules n’est pas toujours en rapport avec les bénéfices espérés pour le patient », estime le Pr Harousseau.
Deuxième acteur : les agences d’évaluation, et donc, pour la France, la HAS. « Aujourd’hui, il y a trois approches en Europe sur cette question de l’évaluation. L’Allemagne, par exemple, se fonde sur une évaluation médicale pure en examinant les bénéfices cliniques de la molécule pour le patient, par rapport aux autres médicaments disponibles. L’Angleterre, de son côté, mise sur une évaluation médico-économique centrée sur l’efficience de la molécule et la capacité de la société à la prendre en charge. Là-bas ne sont acceptés au remboursement que les médicaments ayant un rapport coût/efficacité inférieur à un seuil fixé à 30 000 livres par année de vie gagnée en bonne santé. Enfin, il y a des pays comme la France qui associent ces deux approches. Depuis 2013, la HAS délivre ainsi des avis d’efficience médico-économiques pour certains médicaments innovants, notamment ceux du cancer. Ce critère ne détermine pas l’admission au remboursement mais c’est une aide à la décision pour le CEPS », indique le Pr Harousseau.
Troisième acteur : les décideurs, en l’occurrence le Comité économique des produits de santé (CEPS) en France. « Il est clair que, dans un contexte où les dépenses de santé sont de plus en plus contrôlées, il ne sera pas possible de continuer à rembourser tous les médicaments de la même manière. Il va donc falloir innover. Une première piste est celle de la hiérarchisation des indications, comme cela a été décidé pour le Solvadi, ce médicament de l’hépatite C. La HAS a ainsi préconisé que les malades les plus gravement touchés bénéficient d’abord du remboursement, les autres venant ensuite. Mais cette approche est sans doute plus problématique pour le cancer en l’absence de marqueurs prédictifs », souligne le Pr Harousseau.
Autre piste : une sorte de paiement à la performance. « C’est une solution déjà explorée par le CEPS. L’idée est que la collectivité ne rembourse le produit que pour les cas où il a fait la preuve de son efficacité. C’est une approche intéressante mais là encore, pas forcément facile à mettre en œuvre pour le cancer car il faut définir les critères d’efficacité du traitement et les recueillir. Une autre solution serait une prise en charge, centrée non sur la molécule, mais sur le parcours de soins du patient. Cela pourrait concerner notamment les cas où le patient est traité avec une association très coûteuse de médicaments. Plutôt que de rembourser chaque molécule en fonction de son prix de départ, on pourrait fixer une somme forfaitaire », explique le Pr Harousseau, en plaidant aussi pour une différenciation des prix en fonction des indications. « Prenons l’exemple d’un médicament qui obtient une ASMR très élevée pour une première indication. Si ensuite, la molécule obtient une AMM pour d’autres indications mais avec des bénéfices moins importants, on pourrait imaginer un prix inférieur ».
Dernier acteur : les médecins prescripteurs. « Il faut aussi qu’ils aient conscience de leurs responsabilités et qu’ils aient toujours en tête la question du bon usage. Peut-être qu’ainsi, on éviterait certaines prescriptions très coûteuses en toute fin de vie, sans bénéfice réel pour le patient », indique le Pr Harousseau.
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