« Chez sujets à haut risque, la prévention pré-exposition (PrEP) par emtricitabine/ fumarate de ténofovir disoproxil (Truvada et génériques) est très efficace. Quand le traitement est bien suivi, le risque de contamination est infime, que la PrEP soit utilisée en schéma continu ou intermittent (à la demande). Telle est la conclusion à 3 ans de suivi de l’essai ANRS-Prevenir, mené en Île-de-France, résume le Pr Jean-Michel Molina (Université de Paris, CHU Saint-Louis/Lariboisière, Paris), qui présentait ces résultats à la Croi (1). À 3 ans, seules six personnes sur les 3 000 de la cohorte ont été contaminées. Et tous ces échecs sont liés à une inobservance. Une incidence de contamination aussi faible n’avait jamais été atteinte dans une population présentant un tel niveau de risque », se félicite le Pr Molina.
Chez de jeunes hommes homosexuels
Après la PrEP continue, la PrEP à la demande a montré son efficacité dès 2015, dans l’essai franco-canadien ANRS-Ipergay (2). Dans cette étude randomisée sur plus de 400 sujets à haut risque menée en double aveugle versus placebo, la PrEP intermittente − 15 comprimés/mois en moyenne − était associée à une réduction relative du risque de contamination par le VIH de 86 % à 9 mois et de 97 % à 18 mois (2, 3). « Malgré l’absence d’AMM − le laboratoire n’ayant pas déposé de demande pour ce schéma − cette stratégie a été reconnue par l’HAS, le Conseil national du Sida et des hépatites virales (CNS) et l’OMS. On manquait néanmoins de données de grande ampleur. D’où l’idée d’étudier l’efficacité et la tolérance de cette stratégie sur une vaste cohorte dans la vraie vie et d’évaluer, plus largement, l’efficacité la PrEP continue et/ou intermittente sur la dynamique de l’épidémie en Île-de-France », explique le Pr Molina. C’est ainsi qu’a été lancé l’essai ANRS-Prevenir.
La cohorte rassemble plus 3 000 sujets à haut risque, essentiellement de jeunes hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH : 98,5% ; âge moyen : 36 ans). Près de la moitié utilisaient déjà la PrEP avant. « À l’inclusion quasi la moitié ont opté pour la PrEP intermittente, l’autre pour la PrEP continue. Il y a eu ensuite quelques allers retours, autour de 15 %. Mais peu importe, puisqu’on n’est pas dans une étude randomisée PrEP continue versus intermittente, mais dans un essai prospectif de cohorte sur le bénéfice/risque la PrEP continue et/ou intermittente », rappelle le Pr Molina.
Excellente efficacité et bonne tolérance à 3 ans
À 3 ans, au terme de 2 583 sujets-années pour la PrEP continue, versus 2 553 sujets-années pour la PrEP intermittente, seules 6 personnes ont été infectées par le VIH. Trois dans chaque bras. « Soit un taux d’infection de 1,1/1 000 sujets-années, un taux exceptionnellement bas pour dans ce type de population à haut risque, souligne le Pr Molina. Tous ces échecs sont liés à une interruption de la PrEP associée à des rapports sans préservatifs. Grâce au suivi rapproché, ces 6 patients ont été rapidement mis sous trithérapie (délai moyen : 7 jours). À noter, le seul à présenter une résistance à l’emtricitabine avait repris la PrEP avant de vérifier son statut VIH. » Le taux de sujets perdus de vue ou ayant interrompu le suivi était de 14/100 sujets-années.
La tolérance en continu et/ou intermittente de la PrEP est bonne. Sur 3 000 personnes, seules 19 (0,6 %) ont stoppé transitoirement la PrEP pour des effets secondaires, principalement gastro-intestinaux, avec seulement 3 arrêts définitifs liés à des troubles digestifs.
Un peu plus de sexe sans préservatifs et toujours beaucoup d’IST
Initialement, il y avait en médiane 10 partenaires par trimestre et 2 rapports non protégés par mois. « À 3 ans, le nombre de partenaires a un peu décru, mais le nombre de rapports non protégés a augmenté, surtout chez les non-utilisateurs de la PrEP avant d’entrer dans l’étude. Résultat, seuls 18 % de rapports sont protégés par des préservatifs. En corollaire, l’incidence des IST est élevée, résume le Pr Molina. Ce, d’autant plus que des dépistages systématiques des IST sont réalisés permettant diagnostic et traitement rapides chez des personnes le plus souvent asymptomatiques. »
L’incidence des IST bactériennes s’établit autour de 75 % des sujets-années si l’on excepte les mois du premier confinement, où elle avait chuté à 32 %. L’incidence de l’hépatite C est également élevée, autour de 0,7 % des sujets-années. Du coup, deux sous-études ont été mises en route pour tester d’une part une stratégie de test and treat pour l’hépatite C, visant son élimination, et d’autre part une prophylaxie post-exposition par doxycycline, associée à une vaccination anti-méningocoque B en prévention des infections à Chlamydia, gonocoque et de la syphilis.
Élargir auprès d’autres populations
« Le suivi de cette cohorte a été étendu à 7 ans. Cela va nous donner une bonne idée de l’acceptabilité et de l’efficacité à long terme de la PrEP continue et/ou intermittente, explique le Pr Molina. La PrEP devrait en effet pouvoir être plus largement proposée à d’autres populations à l’avenir, toujours accompagnée d’un suivi renforcé et individualisé (accès aux préservatifs, vaccinations, dépistage régulier des IST, tests de grossesse, contraception). D’autant que d’autres modalités − PrEP injectable, PrEP par implants éventuellement couplés à des contraceptifs − pourraient venir bientôt élargir l’offre. Elle devrait en particulier pouvoir être proposée aux populations hétérosexuelles exposées. Aujourd’hui, 60 % des contaminations en France concernent des hétérosexuels dont bon nombre sont originaires de pays de forte endémie du VIH comme l’Afrique Sub-Saharienne », souligne le Pr Molina.
Exergue : « Le seul sujet à présenter une résistance à l’emtricitabine avait repris la PrEP avant de vérifier son statut VIH »
Entretien avec le Pr Jean Michel Molina, Université de Paris, CHU Saint-Louis/Lariboisière, Paris (1) JM Molina et al. Incidence of HIV-infection with daily or on demand oral PrEP with TDF/FTC in France. Abstract 148; Croi 2021 (2) JM Molina et al. On-Demand Preexposure Prophylaxis in Men at High Risk for HIV-1 Infection. NEJM 2015; 373:2237-46 (3) JM Molina et al. Efficacy, safety and effect on sexual behaviour of on-demand pre-exposure prophylaxis for HIV in men who have sex with men: an observational cohort study. Lancet HIV 2017(9):e402-e410
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