La prévention du syndrome du bébé secoué porte ses fruits

Par
Publié le 11/03/2022
Article réservé aux abonnés
Un programme de prévention du syndrome du bébé secoué est mis en place à Lille depuis 2016, en partenariat avec le Québec. Une expérimentation qui intéresse les pouvoirs publics, alors que le secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance Adrien Taquet a lancé fin janvier une campagne nationale de sensibilisation au sein du CHU lillois.
Un bébé secoué sur 10 décède

Un bébé secoué sur 10 décède
Crédit photo : Phanie

Tous les parents d'enfants nés à la maternité Jeanne de Flandre, au CHU de Lille, sont sensibilisés depuis deux ans à la prévention du syndrome du bébé secoué (SBS). Le programme lancé en 2016 s'ancre dans un partenariat avec le CHU Sainte-Justine de Montréal, dans le cadre du Réseau mère-enfant de la francophonie, explique le Dr Thameur Rakza, pédiatre responsable à la maternité lilloise et en charge du volet français de ce projet.

L'équipe québécoise « a établi un lien entre les pleurs du nourrisson, la colère des parents et le SBS, poursuit-il. La courbe des pleurs monte vers trois mois, période où les pleurs atteignent leur maximum et où il y a le plus de bébés secoués. Les pleurs diminuent vers 9-10 mois et la courbe des cas diminue aussi. » Fortes de ces observations, les deux équipes ont établi ensemble un programme d'information pour tous les parents. Au Québec, il est financé par l'État et déployé au niveau de la province. En France, il n'est mené qu'à la maternité Jeanne de Flandre.

Auprès de tous les parents

Le programme prend tout d'abord la forme d'une rencontre, le troisième jour après la naissance, entre une puéricultrice formée et les deux parents de tous les nouveau-nés, « car dans 80 à 90 % des cas, c'est le père qui a secoué l'enfant », précise le Dr Rakza. Une visite dissociée des autres sur l'alimentation et les soins. Il leur est précisé que cette information est donnée à tous les parents, pas spécifiquement à eux, et il leur est décrit ce que sont le syndrome du bébé secoué et ses terribles conséquences pour l'enfant (un bébé secoué sur 10 décède et trois quarts souffrent d'un handicap moteur, cognitif ou sensoriel à vie).

Le lien avec le niveau de colère du parent est expliqué, ainsi que la manière de le mesurer, avec le « thermomètre de la colère ». La puéricultrice aborde aussi le « pic des pleurs » des trois mois et de la période entre 18 heures et 23 heures. La consultation les rassure sur le fait que dans 95 % des cas, les pleurs n'ont pas de cause médicale, et leur propose certaines actions : vérifier que le bébé va bien, changer sa couche, le nourrir, vérifier sa température et celle de la pièce, le porter, pratiquer le peau à peau…

« La visite leur apprend un geste majeur, ajoute le Dr Rakza, savoir poser l'enfant en toute sécurité dans son berceau et quitter la pièce quand on n'en peut plus », quand la colère atteint la zone rouge du thermomètre de la colère. Prendre l'air, faire un tour, prendre une douche, passer l'aspirateur, et revenir 15 minutes plus tard… N'importe quoi plutôt que rester avec le bébé et risquer de le secouer. Les parents sont invités, individuellement, à écrire noir sur blanc les trois choses qu'ils pensent être en mesure de faire pendant ces 15 minutes, comme un aide-mémoire, ainsi que le numéro d'une « personne-ressource » à appeler à n'importe quelle heure pour faire diminuer la tension.

Former aussi les médecins

Faute de numéro « Allo pleurs bébé » national, que l'équipe appelle de ses vœux, les documents mentionnent aussi le numéro du service, disponible 24 heures sur 24. « On leur demande de signer ces documents, remarque le pédiatre. Et souvent, ils pensent qu'ils doivent nous les laisser, mais non, ils les gardent, car c'est un engagement vis-à-vis d'eux-mêmes, le signe qu'ils ont bien compris les informations. » Selon lui, le programme semble porter ses fruits. Alors que le nombre de cas graves reçus au CHU n'a pas baissé pendant plus de 20 ans, il a été divisé par deux depuis le début du projet, il y a deux ans.

Il s'accompagne par ailleurs d'un volet de formation professionnelle : tous les ans, l'association « Les mots-les maux pour le dire » organise avec le CHU une journée de formation qui réunit entre 500 et 600 personnes, médecins de tous horizons, mais aussi policiers, juges, avocats ou gendarmes, précise le Dr Rakza. Une nécessité impérieuse, selon lui, car d'après une enquête menée auprès de tous les généralistes de France, « deux tiers d'entre eux ne parlent pas du SBS à la première consultation ni dans les deux premiers mois après la naissance ».

L'association et le CHU, qui ont formé toutes les puéricultrices de l'établissement, ont également mis sur pied une formation de quatre heures qu'ils sont prêts à délivrer auprès de toutes les équipes de maternité de la région. Il ne manque plus que le feu vert de l'agence régionale de santé Hauts-de-France pour lancer les sessions. Comme pour le numéro « Allo pleurs bébé » qui pourrait répondre aux parents en détresse face aux pleurs de leur bébé, « les gens sont formés, indique le Dr Rakza. Tout est prêt»

Géraldine Langlois

Source : Le Quotidien du médecin