Les critères du trouble lié aux jeux vidéo « gaming disorder » ont été introduits par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans la classification internationale des maladies CIM-11, et les critères d’« Internet gaming disorder » ont été proposés au chapitre des diagnostics du DSM-5.
Ce trouble est caractérisé par une utilisation persistante ou récurrente d’internet pour s’adonner à des jeux, souvent avec d’autres joueurs, ce qui entraîne une perturbation ou une détresse cliniquement significative au cours d’une période de 12 mois.
« Il existe peu de données quantitatives sur les pratiques de jeux vidéo et sur les usages problématiques d’internet en France. Mais elles pourraient concerner environ 3 % de la population générale, d’après une métaanalyse de 61 études provenant de 29 pays (1) », précise Maud Lemercier-Dugarin (psychologue clinicienne, hôpital Paul Brousse, Villejuif). D’après un sondage Ipsos en 2021, 13 % d’un échantillon de plus de 2000 Français jugeaient jouer en ligne de manière excessive.
Les facteurs de vulnérabilité
Selon une métaanalyse récente, de 51 études sur 115 975 sujets, les facteurs de risques les plus fréquents sont l’existence de cognitions et motivations inadaptées (2). Par exemple, « Je suis nul, mais je suis quelqu’un durant le jeu » ; ou « Le jeu est le seul endroit où je me sens respecté et en sécurité ».
S’ajoutent aussi des troubles psychiatriques. D’après une étude longitudinale portant sur plus de 2 000 lycéens de dix écoles à Taïwan, suivis pendant deux ans, il apparaît que les troubles dépressifs, les phobies sociales ainsi que les troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité (TDAH) sont prédictifs de l’apparition ultérieure d’addiction à internet (3).
Par ailleurs, l’addiction aux écrans a augmenté à la suite des confinements.
« Une métaanalyse de 46 études, portant sur 29 017 enfants de 9 ans en moyenne, a montré que le temps quotidien d’utilisation récréative d’écrans a augmenté de 84 minutes avec le confinement, pour atteindre désormais plus de quatre heures hors temps scolaire, et même cinq chez les adolescents de 12 à 18 ans (4) », souligne le Pr Alain Dervaux (Paris Saclay, CHU Sud, Étampes).
Une augmentation significative
De nombreuses études ont été récemment publiées, documentant les effets nocifs induits par les écrans. Les enfants âgés de trois à cinq ans qui passent en moyenne 1,5 heure par jour devant les écrans ont un moins bon développement du langage oral et écrit et une moins bonne intégrité de la substance blanche en imagerie du tenseur de diffusion (5).
L’association entre le temps passé devant les écrans et leur développement a été étudiée dans une cohorte d’enfants canadiens à l’aide du questionnaire ASQ-3 (6). D’après les mères, les enfants ont passé en moyenne 2,4 heures par jour devant les écrans à l’âge de deux ans, 3,6 h/j à trois ans et 1,6 h/j à cinq ans. Le temps passé devant les écrans à deux ans diminue significativement le score de l’ASQ-3 un an plus tard, à trois ans. « Il s’agit bien d’une relation de causalité. Pendant qu’ils regardent passivement les écrans, les jeunes enfants n’ont pas d’activités cognitives, motrices et relationnelles. On sait que ces retards sont modérés, mais leur réversibilité n’est pas certaine. Il est donc recommandé de limiter le temps d’exposition des jeunes enfants aux écrans et d’interagir avec eux quand ils les regardent », rappelle le Pr Dervaux.
Chez des enfants plus grands, de 8 à 11 ans, une autre étude (ABCD) va dans le même sens. Seuls 37 % d’entre eux suivaient les recommandations canadiennes, préconisant moins de deux heures par jour d’écrans. Ils avaient alors de meilleurs résultats aux tests cognitifs.
« Cependant, il est difficile de se rendre compte du temps passé devant un écran. De nombreux enfants sont dans le déni », souligne le psychiatre.
Chez les jeunes adultes, l’addiction aux jeux vidéo est volontiers associée à un abus de tabac, d’alcool et de cannabis ; ils souffrent alors souvent de troubles anxieux, dépressifs, de TDAH, de TOC, de phobies sociales, etc.
TCC et thérapies familiales
Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) sont les plus utilisées. Le nombre de séances habituellement testées dans les études est de six à huit, le plus souvent réalisées par des psychologues cliniciens. Les méthodes sont variées : protocoles TTC spécifiques au jeu vidéo, ou standards pour les addictions chez les adolescents, centrés sur le craving, ou encore utilisant la pleine conscience. « La TCC pourrait s’avérer efficace, en particulier en cas d’adjonction d’une psychoéducation parentale. Le traitement médicamenteux pourrait être intéressant en cas de comorbidité (dépression, TDAH). Le bupropion est prometteur, mais n’en est qu’au stade initial de l’évaluation », prévient le Pr Pierre Taquet (CHU Lille).
Les thérapies familiales semblent donner de bons résultats, surtout pour les enfants et les adolescents. Cependant, il existe un manque de données d’efficacité sur tous ces traitements. Des études sont nécessaires avec des protocoles de qualité.
Exergue : « Les retards de développement sont modérés, mais leur réversibilité n’est pas certaine »
Symposium « Addictions aux jeux vidéo et à internet : actualités » (1) Kim HS et al. Addict Behav. 2022 Mar;126:107183 (2) Ji YET et al. Aust N Z J Psychiatry. 2022 Apr;56(4):332-46 (3) Ko et al. Arch Pediatr Adolesc Med. 2009 Oct;163(10):937-43 (4) Madigan et al. JAMA Pediatr. 2022 Dec 1;176(12):1188-98 (5) Hutton JS et al. JAMA Pediatr. 2020 Jan 1;174(1):e193869 (6) Madigan et al. JAMA Pediatr. 2019 Mar 1;173(3):244-50
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