Sous un soleil froid d’automne, des silhouettes marchent dans le parc, certains s’arrêtent devant des daims, d’autres s’attardent auprès de l’étang. Deux jeunes filles s’époumonent sur la musique qui sort de leur téléphone. Tous se saluent. La scène est banale. Elle n’aurait pu exister trois ans avant.
En janvier 2016, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) visite le Centre psychothérapique de l’Ain (CPA), unique établissement psychiatrique de tout le département. Il s’alarme des violations des droits des patients, en particulier dans les trois unités de soins de suite (87 lits) qui accueillent des patients dits « de longue évolution », pas toujours stabilisés : interdiction de fumer plus de quatre cigarettes par jour, placards fermés à clé, maintien dans la chambre fermée jour et nuit.
Le recours à la contention (immobilisation sur le lit à l’aide de lanières attachées à chaque membre et au niveau du bassin) est fréquent et les projets de soins individualisés absents. L’unité pour malades agités et perturbateurs (UMAP, baptisé unité Pinel) qui regroupe 21 lits, concentre les dérives : obligation du port du pyjama, interdiction totale de fumer, de conserver des effets personnels et de posséder un lecteur de musique, délais d’enfermement dans les chambres supérieurs à 19 heures par jour, contention la nuit pour certains, en permanence pour d’autres... Le Contrôleur général recense 46 chambres d’isolement (en théorie destinées à apaiser le patient en le soustrayant aux stimulations sensorielles) dont 35 en moyenne sont occupées chaque jour, pour un total de 412 lits à l’époque.
L’avis publié au « Journal officiel » en mars 2016 créé l’électrochoc. « Un traumatisme », racontent les soignants aujourd’hui qui, sans nier les abus, ont vécu comme une injustice l’opprobre qui s’est abattue sur l’ensemble du Centre, aveugle aux tentatives de réforme qui émergeaient çà et là.
L'hôpital s’engage alors dans une réorganisation tambour-battant. Son directeur Dominique Bloch-Lemoine, arrivé en septembre 2016, ferme l'unité Pinel. Les malades difficiles ne doivent plus être concentrés dans un seul lieu. D'ici 2021, l'objectif est de passer de 75 lits de soins de suite à 50. Une unité entière de long séjour de 30 lits deviendra une maison d'accueil spécialisée. Les autres services s'ouvrent. Un système de badge confié aux patients pour ouvrir les portes est expérimenté dans deux unités. Il est en cours de généralisation aux 330 lits du CPA.
Désormais, « on parle moins avec le patient de la porte ouverte et fermée, pour se demander comment le soin peut être contenant », salue le Dr Jean-Claude Blond, gérontopsychiatre au CPA depuis 1975. Autre effet vertueux, souligne-t-il : « la position du médecin a changé. On sort d’une autorité médicale verticale. Chaque soignant se sent investi d’une responsabilité à l’égard des patients ».
« Nous avons remis les soignants au cœur de leur métier », explique la directrice des soins Brigitte Alban. Concrètement, des ratios soignants par type d’unités sont définis, et les équipes s’organisent pour qu’un soignant soit toujours « au chevet du patient, à l’écoute d’une angoisse qui pourrait monter ».
Punching ball et méditation
La question de la contention et de l’isolement fait l’objet d’une réflexion globale. « Les équipes ont compris que ces pratiques devaient être décidées en dernier recours et durer le moins longtemps possible » explique le Dr Sophie Variclier, présidente de la commission médicale d’établissement (CME). Pour sonder l’ampleur du changement, les chiffres mensuels des mesures de contention et d’isolement sont présentés à chaque réunion de CME. Les soignants se sont formés aux techniques de prévention ou de désamorcage de la violence (par exemple, technique Omega, ou guide de la Haute Autorité de santé de 2016) ou aux alternatives à l’isolement et à la contention : méditation de pleine conscience, sophrologie, toucher bien-être, développement de l’occupationnel. Des espaces de défouloir (punching ball, babyfoot) ou au contraire de relaxation ont été aménagés pour prévenir les crises.
La place des usagers n’a cessé de grandir : le rétablissement et l’empowerment sont au cœur du projet d’établissement refondu en 2017. Un conseil de vie sociale mensuel favorise les échanges entre patients. Dans le parc, fleurissent des jardins partagés cultivés par les patients. Un foyer thérapeutique accueille huit patients en transition entre l’hôpital et la ville.
« Le changement est indéniable, les patients sont davantage écoutés, tout comme les familles. La dernière fois que ma fille a été contenue, elle l’a vécu bien différemment », témoigne une mère de patiente, Isabelle Fernandez.
Le taux de recours à l’isolement et à la contention a diminué de 5 au moins, par rapport à 2016. Il ne reste que 21 chambres d’isolement. En juin 2019, la CGLPL Adeline Hazan salue une évolution « remarquable ».
12 postes vacants de psychiatres
De premiers signaux d’alerte pointent, toutefois. « On est en voie d’épuisement », souffle une psychiatre. Depuis l’été, les taux d’isolement et de contention remontent légèrement, les épisodes de violence se multiplient. « Les équipes sont fatiguées, il y a des accidents du travail », observe Dominique Bloch-Lemoine. La raison ? La pénurie médicale qui se traduit par 12 postes vacants de psychiatres, quatre départs programmés cette année. Et une quinzaine à court terme. « Serons-nous assez innovants pour tenir ? » s’interroge aujourd’hui le directeur. Ce 8 octobre, il annonçait la fermeture d’une unité de soins programmés de 25 lits pour mieux répartir les forces.
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