L’offre de soins en Sibérie et dans le grand Nord

Loin des grandes villes, comment les Russes gardent la santé

Publié le 23/11/2011
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DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE

MIÉNIBAÏ Guisatouline le sait. Il mange trop gras, il fume trop. Rien à y faire : même hospitalisé pour cœur défaillant, il persiste. Le frigo dans sa chambre d’hôpital regorge de plats mitonnés par sa femme, et les paquets de cigarettes vides remplissent la poubelle. « Je n’ai jamais fait attention à ma santé, dit-il en se redressant sur son lit. C’est l’hôpital de Krasnoyarsk qui m’envoie ici pour recevoir le traitement. Je vis à côté, c’est pratique. Je fais confiance aux médecins et à Dieu, je suis les prescriptions. Si je ne meurs pas avant ma retraite, dans trois ans, je me lancerai dans la chasse et la pêche ».

Le kraï de Krasnoyarsk est immense (3 000 km du Nord au Sud pour seulement trois millions d’habitants), de petits hôpitaux locaux comme celui-là parsèment le territoire forestier. La population apprécie, mais les médecins rechignent à y exercer. Des bourses sont en place pour attirer les internes. C’est ainsi qu’Alena Kouznetsova a atterri ici. Elle a 20 ans, le regard doux, les ongles carmin. Elle veut devenir dermatologue. La taïga ne l’effraie pas, elle y est née. « Je viens d’un tout petit village. Dans ma classe, nous étions quatre élèves. Nous sommes tous partis. Mes parents n’auraient pas pu payer mes études, 40 000 roubles par semestre [960 euros]. En échange de la bourse, je m’engage à travailler au moins trois années ici ». Alena pense s’acclimater. « L’air est plus pur qu’à Krasnoyarsk, c’est moins l’usine ». Son salaire sera très bas, elle le sait, mais ce qui lui fait peur, « c’est de devoir tout apprendre ».

Le Dr Élena Goumirova est l’unique gynécologue des environs. Sur elle reposent tous les suivis de grossesse. Les accouchements aussi, 136 l’an passé, sans péridurale car l’anesthésiste est seul aussi - les cas trop difficiles sont envoyés à Krasnoyarsk par hélicoptère. Toute la vie d’Élena est régie par son travail. Son mari, médecin dans un petit cabinet au village, a plus de temps pour lui. À 50 ans tout rond, Élena confesse une certaine lassitude. « Je n’ai pas le droit de partir en week end ni de tomber malade. En 2010, j’ai posé quelques jours, mais je suis restée à la maison car l’hôpital peut m’appeler à tout moment pour un accouchement. Je travaille comme trois médecins, et je gagne 40 000 roubles par mois [960 euros] ». Le Dr Goumirova trouve que c’est peu et beaucoup à la fois : elle gagne dix fois plus que le salaire moyen au village.

DELPHINE CHARDON

Source : Le Quotidien du Médecin: 9046