Le Covid-19 vu d’Italie : « 60 médecins sont décédés dans ma région, en majorité des généralistes »

Publié le 10/04/2020

Dans le cadre d’un dossier, Le Généraliste a interrogé des médecins de famille du monde entier pour savoir comment ils vivent la pandémie de coronavirus. Voici l’un des témoignages.

"Dans le cabinet où je travaille, on est cinq généralistes, et chacun suit environ 1 500 patients. Du 23 février à la fin du mois de mars, 522 personnes m’ont contactée par téléphone pour des symptômes Covid-19, c’est-à-dire un tiers de mes patients. Mon travail a changé soudainement le 23 février, quand on a reçu une communication de l’ASL, l’administration sanitaire locale compétente en matière de santé : il ne fallait plus donner accès à nos cabinets à toute personne présentant des symptômes du Covid-19, le suivi de ces patients devait désormais se faire exclusivement par téléphone. Tout accès à nos cabinets de la part des patients ayant d’autres pathologies devait se faire avec un intervalle de 20 minutes entre une personne et la suivante afin d’éviter tout risque de contagion. Les patients présentant des problèmes respiratoires devaient appeler le 112, numéro italien d’appel d’urgence. Toutefois, les hôpitaux n’étaient pas prêts à absorber un tel nombre de patients et sont désormais saturés.

Un prix énorme à payer Les généralistes sont les premiers sollicités en cas de symptômes de coronavirus. En Lombardie, on n’a reçu aucun dispositif de protection de la part des ASL. Le masque que j’utilise m’a été donné par un ami dentiste. J’ai perdu quatre collègues que je connaissais personnellement, et plus de 60 médecins sont décédés dans ma région, dont 60 % étaient des généralistes. Des infirmiers et des secouristes sont aussi décédés. C’est un prix énorme à payer pour une mauvaise gestion de la crise sanitaire !

En Italie, les directives sanitaires sont gérées au niveau régional. Dans certaines régions, des unités de soins mobiles qui interviennent sur le terrain ont été organisées rapidement. En Émilie-Romagne, par exemple, ces unités composées de médecins équipés de protections prennent en charge les patients à domicile, en effectuant des tests rapides, des échographies thoraciques et en administrant des thérapies ciblées. Le résultat ? Dans cette région, le nombre de décès est inférieur, alors que celui de cas Covid-19 est à peu près le même qu’en Lombardie.

Sentiment d’abandon Depuis une dizaine de jours, des unités mobiles interviennent sur le terrain ici aussi. Personnellement, j’oscille entre la rage et le désespoir, l’angoisse et la tristesse. Nous, les généralistes, avons été complètement abandonnés. On ne peut pas risquer notre vie parce qu’on ne nous fournit pas de masques ! J’ai aussi une grande envie de lutter, de faire tout ce que je peux pour sauver mes patients. On est en première ligne contre ce virus et j’ai l’impression de faire partie d’une armée révolutionnaire, dans cette zone gravement touchée par l’épidémie. Mais il faut que les autorités nous fournissent les armes pour gagner cette lutte."

Propos recueillis par Elide Achille

Source : lequotidiendumedecin.fr