Les Français consomment de plus en plus d’aliments bio, issus d’une agriculture qui interdit l’usage de produits chimiques de synthèse. En octobre 2017, 62 % d’entre eux disaient acheter du bio « souvent » ou « de temps en temps », contre 32 % en 1998 (enquête Ipsos pour WWF). La plupart le justifiaient par le fait que le bio est « meilleur pour la santé ». De fait, l’agriculture biologique repose sur une utilisation bien moindre de pesticides que l’agriculture conventionnelle : l’Europe a autorisé 26 principes actifs dans la première, contre 385 dans la seconde. Parmi eux, respectivement 10 principes actifs et 340 ont une toxicité connue, selon l’Autorité européenne de sécurité des aliments.
Pour réduire son exposition aux produits phytosanitaires, le choix d’une alimentation bio est pertinent. Dans la population générale, l’alimentation constitue la principale source d’exposition aux résidus de pesticides. La consommation de fruits et de légumes issus de l’agriculture traditionnelle – dont personne ne remet en cause l’effet positif sur la santé en termes de réduction du risque cardiovasculaire et du risque de cancer du tube digestif - se traduit par une élimination de résidus de pesticides dans les urines. Or plusieurs études interventionnelles, menées chez l’enfant et l’adulte, ont montré que la consommation de fruits et de légumes bios aboutit, au bout d’une semaine, à une réduction marquée de la présence de résidus de pesticides dans les urines.
Premières études observationnelles
Cette moindre exposition a-t-elle des effets positifs sur la santé du consommateur ? Les réponses sont ténues. Chez l’animal, plusieurs effets positifs ont été observés dans des études robustes : croissance et rétablissement après une infection plus rapide chez le poulet, améliorations de plusieurs paramètres immunitaires chez le rat. Mais l’animal n’est pas l’homme. Or les études interventionnelles à long terme chez l’homme sont inexistantes et les études observationnelles commencent seulement à sortir.
Ces dernières consistent à suivre l’état de santé de volontaires pendant plusieurs années. Leur régime alimentaire est évalué sous forme de questionnaire, à différents stades du suivi, ce qui permet d’isoler plusieurs groupes en fonction de la fréquence de leur recours au bio. En 2008, une équipe néerlandaise a mesuré l’impact de l’alimentation bio pendant la grossesse et les 2 premières années de l’enfant, à partir d’une cohorte de 2 834 femmes et de leur enfant (2 764). Elle a observé un lien entre la consommation de produits laitiers bio et une réduction du risque d’eczéma chez les enfants à l’âge de 2 ans, un mécanisme qu’elle n’attribue pas tant à une diminution des pesticides qu’à une plus grande quantité d’acides gras dans le lait bio.
Réduction de certains cancers
En 2014, une équipe britannique a appliqué cette méthodologie à 623 000 femmes d’âge moyen, suivies pendant 9,3 ans. Elle a observé une réduction significative du risque d’un type de cancer, le lymphome non-hodgkinien, chez les gros consommateurs de bio comparé aux consommateurs d’aliments conventionnels. Ce résultat a été confirmé en octobre 2018, par une équipe française. Celle-ci a montré qu’il existe une association entre la consommation fréquente d’aliments bios et la diminution du risque de lymphome non-hodgkinien et de cancer du sein postménopause. Elle s’est pour cela fondée sur le suivi de 69 000 volontaires de la cohorte NutriNet, suivis pendant 4,5 ans. En 2017, cette cohorte avait déjà porté ses fruits : la même équipe avait montré un impact de l’alimentation bio sur l’IMC et le syndrome métabolique.
Ces études sont encourageantes mais elles doivent être analysées avec précaution. « Les consommateurs de bio ont un profil globalement plus sain que les autres, explique au « Quotidien » Emmanuelle Kesse-Guyot, de l’Inserm, qui a dirigé l’étude française. Ils fument moins, font davantage de sport et consomment une alimentation globalement plus saine ». Comment dès lors être certains que les effets positifs observés sur la santé sont bien liés à l’alimentation bio et non à une bonne hygiène de vie générale ? « Notre travail d'épidémiologie consiste à tenir compte de ces « facteurs de confusion », fréquents dans le champ de la nutrition. Nous utilisons pour cela une technique d’analyse statistique dite d’ajustement qui permet de neutraliser l’effet de ces facteurs », note la directrice de recherche. Pour le Pr de médecine environnementale Philippe Grandjean, de Harvard, les études ne sont pas encore assez nombreuses pour tirer des conclusions claires sur l’apport de l’alimentation bio.
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