Longs délais pour une consultation, retards de repérage et de diagnostic : pour les jeunes patients, les failles du système de soins psychiatriques ont des conséquences parfois dramatiques. « La situation devient explosive avec une dégradation de la prise en charge et un recours grandissant aux urgences psychiatriques et aux hospitalisations pourtant évitables », constate le Dr Alice Oppetit, pédopsychiatre à la Pitié-Salpêtrière (Assistance publique – hôpitaux de Paris). « Les délais avant un premier rendez-vous sont partout très longs, de six mois à un an. Dans certains territoires, la réponse est simplement inexistante. La première conséquence est une perte de chance pour les patients ».
Un impact sur la vie présente et future des patients
Ce constat alarmant est partagé par de nombreux praticiens : « depuis cinq ou six ans, la dégradation de nos possibilités de réponse aux besoins de la population met les pédopsychiatres face aux patients qui attendent une prise en charge, d'un côté, et ceux qui sont mal pris en charge faute de moyens, de l'autre. La situation est dramatique et génère de la souffrance chez les praticiens », témoigne le Dr Anne Hamel, chef du service de pédopsychiatrie du centre hospitalier de Vichy.
La prise en charge et le diagnostic tardifs influent sur la vie présente et future des enfants et adolescents, d’autant que certaines pathologies, telles que la schizophrénie, se déclarent à l’adolescence. « Les conséquences d’un retard de prise en charge vont du décrochage scolaire au développement d’une pathologie chronique », analyse le Pr Pierre-Michel Llorca, médecin au CHU de Clermont-Ferrand, responsable du centre expert schizophrénie de la fondation FondaMental, et coauteur du livre « Psychiatrie, l’état d’urgence ». « La situation est d’autant plus dramatique que l’on sait qu’en agissant tôt, on évite des trajectoires vers des pathologies chroniques », ajoute le Dr Oppetit qui déplore la fermeture de lits d’hospitalisation faute de personnels (pédopsychiatres et infirmiers). « Nous sommes confrontés à des enfants dans des situations très graves, parfois victimes d’abus, qui n’obtiennent pas de lits malgré l’urgence de leur situation », constate-t-elle.
Une chute des effectifs
Cette situation est le résultat de plusieurs facteurs. La discipline reçoit un nombre grandissant de demandes de prise en charge à la croisée des champs médical et social : les pédopsychiatres sont sollicités pour intervenir dans les troubles de l’apprentissage ou de l’attention, le décrochage scolaire, la violence, le harcèlement, la radicalisation, etc. Dans le même temps, la spécialité a perdu, entre 2007 et 2016, la moitié de ses effectifs, qui sont par ailleurs vieillissants (âge moyen de 62 ans). « Le nombre de professeurs d’université dans la spécialité est trop faible pour former en nombre suffisant des pédopsychiatres », juge le Pr Llorca. Le répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS) ne recensait en 2017 que 36 PU-PH en pédopsychiatrie sur tout le territoire et neuf universités ne disposaient tout simplement d’aucun PU-PH dans cette discipline.
Face à ces difficultés, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a annoncé le maintien des budgets de la psychiatrie en janvier 2018 et a affiché, fin décembre, sa volonté d’une « priorisation des moyens et capacités d’accueil en pédopsychiatrie ». « Ces annonces sont une bonne chose, mais la mise en œuvre se fait attendre sur le terrain », s’impatiente le Dr Hamel. Les professionnels ne manquent pourtant pas d’idées et de propositions pour soulager le secteur : meilleure coordination avec l’ensemble des acteurs impliqués dans la prise en charge, formation des généralistes à la détection, remboursement des psychothérapies, création de postes universitaires, etc.
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