L’insuffisance cardiaque aiguë (ICA) du sujet âgé à fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) préservée est fréquente. Elle représente la première cause de passage aux urgences après 65 ans. Mais elle reste de mauvais pronostic : 10 % de mortalité à un mois.
Et sa prise en charge est sujette à débat. En effet, malgré les efforts réalisés pour développer de nouveaux traitements, réévaluer et optimiser sa prise en charge, aucun progrès significatif n’a été réalisé en 20 ans.
Des recommandations de faible niveau de preuve
Les recommandations de prise en charge initiale de l’ICA ont un faible niveau de preuve. Aucun des traitements — diurétiques, ventilation mécanique invasive (VMI), dérivés nitrés, etc. — n’a formellement montré son bénéfice sur le pronostic. Les diurétiques, par exemple, ont fait l’objet de nombreux essais à diverses doses et divers schémas, sans que l’on puisse en tirer de conclusion. Résultat, c’est la dose minimale qui est recommandée.
Les dérivés nitrés ont fait leurs preuves il y a 20 ans, mais sur une petite population ciblée, des résultats peu extrapolables. Quant à la VMI, elle est certes bénéfique sur les symptômes — fréquence cardiaque, dyspnée, gaz du sang — à la phase initiale, mais l’essai 3CPO la testant versus pas de VMI n’a pas réussi à mettre en évidence de bénéfice pronostique (1). Quant aux candidats médicaments, tous ont échoué.
« Vu le peu de bénéfice pronostique des traitements précoces, on en vient aujourd’hui à penser que ce sont plus les facteurs précipitants, causaux, de l’ICA, qui conditionnent son pronostic, explique le Pr Yonathan Freund (CHU Pitié Salpêtrière, Paris). Pour exemple les ICA liées à une infection pulmonaire aiguë sont de bien meilleur pronostic que celles liées à un problème cardiaque. Il est donc peut-être plus déterminant de diagnostiquer et traiter le facteur causal que l’ICA en elle-même. »
Une prise en charge globale
Plusieurs questions restent encore sans réponse. En particulier, est-ce que la précocité du traitement aux urgences et sa qualité affectent le pronostic ? « Dans l’essai randomisé français Elisabeth (2), nous avons testé aux urgences une prise en charge strictement conforme aux recommandations, versus groupe contrôle traité comme d’habitude, c’est-à-dire sans appliquer généralement toutes les recommandations », explique le Pr Freund. À un mois, on n’observe aucune différence pronostique ! Ce résultat tend à renforcer l’hypothèse que ce sont surtout les comorbidités et la prise en charge à la sortie du service d’urgence qui pèsent sur le pronostic. « Une seconde analyse des données va être réalisée à 2-3 jours, pour tester s’il n’y a tout de même pas un bénéfice pronostique précoce », indique le Pr Freund.
Mais, à l’avenir, les progrès sont sûrement plus à attendre du côté d’un meilleur circuit de soin en sortie des urgences avec une prise en charge globale, associée à une adaptation précoce des traitements chroniques. « En pratique clinique, dans cette attente, il faut continuer d’appliquer les recommandations (3) même si le bénéfice n’est pas clair, prendre en charge les pathologies sous-jacentes et probablement protocoliser la suite de la prise en charge au-delà des services d’urgence pour améliorer le pronostic », conclut l’urgentiste.
Entretien avec le Pr Yonathan Freund (CHU Pitié Salpétrière, Paris)
(1) Gray AJ et al. Health Technol Assess 2009;13:1-106
(2) Freund Y et al. Jama 2020;324:1948-56
(3) Mebazaa A et al. Eur J Heart Fail 2015; 17: 544-58
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