La pandémie de Covid-19 n’a pas été vraiment une surprise. « On a vu nombre de crises sanitaires infectieuses, émergentes ou réemergentes, ces dernières années, à un rythme soutenu, rappelle le Pr Enrique Casalino (CHU Bichat, Paris). Le paludisme dans le sud de l’Europe, Ebola − qui a toujours été présent et dont la dissémination est liée à l’exploitation des forêts −, la grippe H1N1, dont le potentiel s’est dilué dans le temps mais qui a quand même circulé de 3 à 5 ans. Sans compter les deux précédents signaux d’alerte avec les coronavirus, lancés ces dernières années en Asie du Sud-Est. »
Pour y faire face, des systèmes de surveillance et d’alertes sont en place, qui permettent le développement rapide d’outils diagnostiques, pour identifier les cas.
Pour le Covid-19, ces signaux ont fonctionné, « même si l’OMS a peut-être un peu tardé à caractériser le danger en “pandémie”, note le Pr Casalino. En deux mois à peine, on avait la carte génétique du virus et les Chinois ont rapidement mis au point les premiers outils diagnostiques. Ces outils, associés à une politique très stricte de tracer-isoler-enfermer, leur ont permis de contenir et d’éliminer le virus. Mais, pendant ce temps-là en Europe, nous sommes restés un temps dans le déni. Résultat, nous avons tardé à mettre en place les mesures sanitaires. En France, on a attendu le haut de la vague et un système de soins prêt à collapser pour lancer le premier confinement. »
Des failles préexistantes du système de santé
« Notre système de santé avait déjà des failles bien avant la pandémie, en particulier un dysfonctionnement structurel marqué par une faible collaboration entre les systèmes publics et privés, des urgences débordées et probablement pas assez de lits de réanimation, dénonce le Pr Casalino. Ce système est régulièrement débordé chaque hiver, au bord de la rupture à chaque épisode de grippe, de bronchiolite… »
La pandémie a mis en évidence la nécessité de mettre en place un système plus vertueux dans son fonctionnement, dans son organisation, et ses interactions. Pendant cette période, la saturation des urgences, la déprogrammation des blocs, etc., a eu un retentissement important sur l’ensemble de la prise en charge de la population. « C’est autant un défaut d’organisation que de moyens, considère le Pr Casalino. À l’avenir, il va falloir être créatifs et envisager de nouvelles façons de fonctionner, d’interagir. »
Une gouvernance plus médicale avec de nouvelles coopérations
Les cellules de crise, mises en place au sein des hôpitaux durant la pandémie, ont quant à elles particulièrement bien fonctionné. « Leurs arbitrages ont été bien acceptés, même quand ils induisaient des changements majeurs d’organisation, explique le Pr Casalino. Les équipes ont bien adhéré pour la simple raison que ces bouleversements faisaient sens. Le souci du soin était en effet à nouveau au centre des décisions. »
La pandémie a aussi créé une nouvelle dynamique et fait travailler ensemble, en équipes, tous les soignants, médecins, infirmiers, etc., exerçant en secteur d’activité programmée ou non. « Côté administratif, il y a eu une grande flexibilité, une adaptabilité, apprécie le Pr Casalino. Les processus de commande de matériel par exemple ont été efficacement simplifiés. »
En résumé, toutes les équipes ont travaillé ensemble, dans une organisation créative et souple, en priorisant le soin. « Il faudra probablement, à l’avenir, plus de médecins dans les instances de gouvernance, pour sortir du tout comptable et être créatifs, proposer des projets, et décloisonner les lignes de décision », considère le Pr Casalino.
Cette expérience a eu aussi pour conséquence de rétablir des relations de confiance entre le personnel soignant et l’encadrement intermédiaire ou supérieur. « C’est une avancée qu’il faut veiller à garder, ce qui suppose d’écouter entendre les revendications non satisfaites, souligne le Pr Casalino. Cette période a en effet montré les limites d’une gestion économique à tous crins au détriment des valeurs du soin. Une vision comptable qui crée une rupture avec les équipes soignantes. »
Enfin, la crise est venue poser la question de comment simplifier les procédures, améliorer les interactions entre les équipes et au sein des équipes. Cela peut permettre de proposer des fonctionnements innovants à même de simplifier, mais aussi réduire les dépenses inutiles.
Exergue : Cette période a montré les limites d’une gestion économique à tous crins, au détriment des valeurs du soin
Entretien avec le Pr Enrique Casalino (CHU Bichat, Paris)
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