LE QUOTIDIEN : Comment expliquer le nombre élevé de médecins en burn out ?
Dr JEAN-CHRITOPHE SEZNEC : Aujourd’hui, l’État – et plus globalement la société – n’a aucun amour pour les médecins. Les tutelles s’adressent à eux avec des propos administratifs, hors de la réalité, sans tenir compte des conséquences de décisions réglementaires et bureaucratiques sur la qualité de travail et de vie des médecins. Et on assiste à une fuite en avant étatique pour répondre aux besoins d’un système de santé dont la qualité se dégrade de plus en plus vite.
Les soignants sont pris en étau entre un État qui leur demande toujours plus et des patients qui préfèrent désormais la relation virtuelle à la relation humaine. Pleins de croyances – souvent fausses et relayées par Internet et les médias –, ils viennent déverser leurs souffrances chez le médecin en le harcelant, l’agressant.
L’exemple récent de la crise du Lévothyrox® est l’illustration de la position de porte-à-faux dans laquelle l’administration met les médecins vis-à-vis des patients. Face à des consommateurs de soins exigeants et inquiets, les médecins n’ont pas eu les moyens de répondre aux interrogations, ne disposant pas d’informations des tutelles ni des laboratoires. Après avoir dépensé de l’énergie à tenter de rassurer les utilisateurs, ils se sont retrouvés mis en échec dans leur démarche de réassurance par la ministre qui a annoncé le retour à l’ancienne formulation.
Les médecins sont aujourd’hui des victimes de la déliquescence des liens sociaux. Pourtant, ce sont les « grognards de la République », ceux qui sont toujours prêts à suivre les ordres même si c’est en grognant.
Ils sont prêts à donner énormément et, dans les faits, ils donnent énormément. Mais ce sont de sentimentaux, ils ont besoin qu’on les aime un peu.
Les médecins vivent-ils des difficultés particulières à la reprise du travail après un épisode de burn out ?
Les médecins vivent la plupart du temps « le nez dans le guidon ». Ils sont tellement engagés dans leur vie professionnelle qu’ils ne prennent pas le temps de réfléchir à des choses essentielles : leurs valeurs, celles qui les ont conduites à choisir des études de médecine ; leurs possibilités de carrière ; les choix qu’ils sont prêts à consentir pour travailler et vivre mieux… Ces passionnés oublient d’organiser des espaces personnels et intimes nécessaires à la récupération mentale d’un métier éprouvant.
Pourtant, tous ces sujets doivent être abordés car si le médecin reprend de la même façon l’activité professionnelle qui l’a conduit à un burn out, il présente tous les risques de rechute. La reprise doit être planifiée, car aux mêmes causes peuvent aboutir les mêmes effets. Désormais, les médecins ont à prendre conscience qu’ils ont la possibilité de vivre plusieurs vies professionnelles libérales ou salariées. L’exercice du soin est vaste, beaucoup plus vaste que le pensent la plupart des praticiens.
Certaines personnalités auront-elles plus de mal à se replonger dans l’exercice de la médecine ?
Le burn out est un trouble de l’adaptation personnelle aux conditions extérieures. Certaines personnalités sont plus à risque, il s’agit des premiers de classe, des perfectionnistes qui veulent toujours bien faire leur travail.
Aujourd’hui, il est difficile et rarement fonctionnel pour un médecin de garder ses exigences de perfectionnisme. Et c’est être peu réaliste que d’imaginer que même si les autres n’y arrivent pas, nous, parce que nous sommes différents, pourrons y arriver.
Le médecin perfectionniste s’épuise dans un monde du travail qui ne correspond pas à l’idée qu’il se faisait du métier quand il a débuté ses études. La médecine est devenue plus administrative, plus contraignante. Elle use ces passionnés. D’autant que le médecin perfectionniste, pour trouver le temps de continuer à examiner ses patients comme ses valeurs lui imposent de le faire, va rapidement se mettre en surrégime et s’épuiser.
Vivre cette situation de conflit de valeurs entre celles portées par le médecin et celles imposées par l’État ou véhiculées par la société est une source de souffrance intense.
Que peut-on leur conseiller avant la reprise ?
De se faire aider car il est parfois difficile d’accepter que la vie soit faite de renoncements pour s’adapter à une réalité sociale. Aujourd’hui, la notion de burn out des médecins a été médiatisée mais on leur offre encore que très peu de solutions d’accompagnement à la reprise. Pourtant, le burn out est bien souvent vécu comme l’échec d’une vocation, d’un choix de vie.
Avant même de prendre une activité professionnelle, le médecin doit s’interroger : Pourquoi fais-je ce métier ? Quel est son sens ? Comme puis l’exercer ?
Une fois que le médecin a défini ses valeurs, il cherchera comment les adapter à la réalité du contexte. Et pour cela, il analysera la réalité de son exercice. Il n’est pas obligatoire de renoncer à ses valeurs pour éviter le burn out, mais il est indispensable d’analyser comment s’en rapprocher et comment les décliner.
Par exemple, si l’humanisme et la bienveillance sont essentiels, il n’est pas nécessaire de s’y référer de manière rigide : il y a 10 000 manières d’aider les gens, sans y perdre une qualité de vie nécessaire à sa santé pour bien soigner.
Mais pour accepter ce constat – qui parfois implique une réorientation de carrière –, cela demande à faire preuve de souplesse, de créativité, de flexibilité psychologique. Ainsi, la question financière doit être abordée car il est important de savoir quel coût le médecin est prêt à payer pour s’adapter au contexte qu’il vit. Il ne faut pas occulter les enjeux financiers (prêts, études des enfants…) mais toujours se rappeler qu’il ne s’agit pas de l’élément primordial dont a besoin un être humain dont la vie nécessite de l’amour, de l’amitié, de l’attention, les passions…
* Sabine Bataille et coll., « Réussir son retour au travail. Bien organiser sa qualité de vie professionnelle après un burn out ou une longue absence », InterEditions, 2017
À lire aussi : Jean-Christophe Seznec et Stéphanie Rohant, « Médecine en danger, qui va nous soigner demain », éditions First, 2016 ; Jean-Christophe Seznec et Laurent Carouana, « Savoir se taire, savoir parler », InterEditions, 2017
Le Dr Seznec fait partie du réseau RPBO (www.RPBO.fr), réseau indépendant de professionnels de la reconstruction post-burn out.
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