Face à un décès maternel ou infantile en service d’obstétrique, la souffrance des familles est bien sûr au premier plan. Mais qui s’intéresse au vécu des soignants soumis à la violence de la situation, seuls avec leur culpabilité de ne pas avoir pu – ou pas avoir su, comme ils le croient souvent – sauver la vie ?
Quel accompagnement humain est proposé aux professionnels qui ont eu à faire face à un événement qui bouleverse indéniablement une carrière car il remet en question tous les acquis de la formation et de la pratique ?
Le soignant « deuxième victime »
En France, près des 60 % des décès maternels expertisés sont considérés comme évitables. Alors bien sûr, quand un décès survient, les soignants culpabilisent, ils ne peuvent éviter de penser qu’ils ont joué un rôle délétère, même si ce n’est pas le cas. L’incidence des mises en causes judiciaires dans ce contexte particulier étant particulièrement importante, le poids de l’accident est parfois très lourd sur le vécu personnel et professionnel.
Sans minimiser la souffrance des « premières victimes », le vécu du professionnel de santé doit aussi être pris en compte car il est la « deuxième victime » de l’accident. Il est licite d’imaginer qu’un soignant bien accompagné humainement par ses pairs et techniquement par une proposition d’amélioration des pratiques reprendra son travail dans de meilleures conditions et sera à même de mieux gérer ce type d’incident s’il survient à nouveau. L’accompagnement du soignant au sein de son équipe médico-administrative pourrait devenir un gage de qualité des pratiques.
208 réponses à un questionnaire en ligne
Pour en savoir plus sur cette question, le Dr Jean Thévenot, président de l’association MOTS, a mis en place une étude fondée sur un questionnaire en 13 items : avez-vous déjà été confronté à une mort per-partum ? Dans les 24 heures, vous a-t-on proposé de l’aide ? Cet accident a-t-il modifié votre pratique ? Cet accident a-t-il eu des conséquences personnelles ou professionnelles... ?
Le questionnaire a été diffusé à des gynécologues obstétriciens, des pédiatres, des anesthésistes et des sages-femmes de la région par l’intermédiaire du réseau périnatal Matermip, de l’Ordre des sages-femmes et de l’Ordre des médecins. Le Collège National de Gynécologie Obstétrique (CNGOF), le Syndicat des gynécologues-obstétriciens (SYNGOF), la Société française d’anesthésie réanimation (SFAR) et l’association de gestion des risques en gynéco-obstétrique (GYNERISQ) ont diffusé l'enquête à leurs adhérents de toute la France. Le questionnaire était rempli en ligne sur la base du volontariat et il était accompagné d’un mail explicatif.
Entre févier et juillet 2016, 208 questionnaires ont été reçus : les femmes étaient majoritaires, et les tranches d’âges les plus représentées étaient les 31-40 ans et les 51-60 ans. Les répondant étaient en majorité des gynécologues-obstétriciens et des sages-femmes dont le nombre d’années d’exercice était très variable (de moins de 5 à plus de 30 ans).
Au total, 93 répondants ont été confrontés à une mort maternelle et 150 à un décès néonatal.
Le silence des établissements, mais la présence des collègues
Dans les 24 premières heures qui ont suivi l’accident, le silence des établissements est de mise : moins de 15 personnes ont été aidées par un psychologue, un membre de la CME ou une cellule spécialisée au sein de l’administration.
Les collègues en revanche ont répondu présents pour la moitié des personnes interrogées. Dans les jours qui ont suivi, pas non plus d’implication des établissements dans le suivi psychologique. Il faut aussi dire que rares sont les soignants qui sollicitent de l’aide (10 %) et qu’un très petit nombre d’établissements dispose de protocoles dont les aspects techniques, juridiques et humains n’ont pas été précisés.
La moitié du panel (110) a été impliquée dans une procédure au cours de la carrière : 21 plaintes pénales, 21 plaintes civiles, 4 plaintes ordinales, 19 procédures en CRCI. Parmi les personnes qui avaient été assistées pour les suites judiciaires (42), les assurances viennent au premier plan, même si comme le président les répondants « leur intérêt n’est pas toujours le même que celui des soignants »). Les avocats des établissements ou avocats personnels sont ensuite cités en particulier pour les aspects techniques judiciaires.
Les personnes interrogées soulignent leur manque de formation à ces situations exceptionnelles et leurs difficultés dans l’annonce.
Une aide qui n’est pas venue
L’accident a fait changer – en positif ou négatif – les pratiques de la moitié des répondants qui parlent de modifications de protocoles de soins, de discussions en RMM, de formations sur le deuil, mais aussi de médecine plus défensive, d’augmentation du taux de césariennes. Quinze personnes ont déclaré avoir cessé leur pratique en obstétrique à la suite de l’incident. Globalement, les personnes interrogées attendaient une aide – aide psychologique, débriefing, RMM – qui n’est pas venue. Certains rapportent que les seules mesures prises avaient eu comme conséquences de se retrouver « accusés par leurs confrères plutôt que soutenus ».
Le Dr Thévenot note pour finir que l’aide confraternelle est réelle puisque plus de 120 déclarants ont rapporté avoir aidé au moins un confrère soumis à une épreuve de deuil.
Une nouvelle culture à mettre en place
Quelles propositions en tire l’auteur ? Que les établissements doivent mettre en place des protocoles d’évènements indésirables graves avec un signalement à l’ARS ou au réseau périnatal local. Ces protocoles devraient contenir au moins 4 volets : conduite à tenir médicale, actions médico-légales, accompagnement des familles, amélioration des pratiques et accompagnement des soignants.
Pour chaque événement, il est souhaitable que soit proposé un débriefing individuel immédiat, un groupe de parole et d’expression collectif des intervenants, un suivi moyen terme et un accompagnement à long terme.
Les présidents de CME devraient se mobiliser pour qu’une nouvelle culture des accidents médicaux soit mise en place, elle permettrait de glisser d’une appréciation ou d’un jugement (réel ou ressenti) à un accompagnement des confrères dans le but d’une amélioration des pratiques collectives.
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