Le 30 novembre 2011, le Dr Ken Muray (Université de Californie du Sud) prend la plume sur le site participatif zocalopublicsquare.org. Et il raconte une belle histoire, comme savent le faire les Américains (1). C’est celle de son maître, Charlie, un orthopédiste qui se sachant atteint d’un cancer du pancréas a choisi de refuser la chimiothérapie et la chirurgie et a su profiter de ses derniers mois de vie auprès de sa famille.
À partir de cet exemple, le Dr Muray a développé une théorie : bien sûr, comme tout le monde, les médecins ne veulent pas mourir, mais ils connaissent les limites des traitements et choisissent de ne pas s’éteindre seuls ni de souffrir. Bref les médecins sont exemplaires quand leurs derniers moments arrivent : ils ne coûtent pas cher en frais médicaux (pas comme Jack, l’un de ses patients dont les 15 interventions chirurgicales ont été facturées plus de 500 000 $), et ils savent « mourir paisiblement à la maison entourés de leurs familles ». Les confrères du Dr Muray expliqueraient à leurs familles qu’ils refusent une réanimation recourant aux traitements excessifs – car ils en voient tous les jours les conséquences. La réanimation cardio-respiratoire avec des cotes fracturées pour survivre quelques jours dans un service de soins intensifs avec des tuyaux partout, ce n’est pas pour eux.
L’essai du Dr Muray est devenu viral sur Internet : 789 commentaires, des reprises par des journaux prestigieux tels que le « New York Times ». Et ce n’était pas la première fois que les médecins étaient montrés en exemple puisqu'une étude de 2008 avait déjà conclu que les médecins souhaitaient des traitements peu agressifs pendant leurs derniers mois de vie et qu'ils étaient plus enclins que les autres patients à spécifier leurs souhaits par écrit dans le cadre de directives anticipées. L’Académie Nationale de Médecine des États-Unis s’est aussi servie de ces données dans son livre blanc sur « La mort en Amérique ».
Non les médecins ne sont pas exemplaires
Pourquoi l’équipe du Dr Daniel Matlock (Aurora, États-Unis) a-t-elle choisi de travailler sur ce sujet en 2015 (2) ? Parce qu’un quart des dépenses de l’assurance santé publique pour les plus de 65 ans, Medicare, sont réalisées pendant la dernière année de vie des patients ? Parce que si tous les patients suivaient l’exemple des médecins en évitant les procédures futiles, les coûts de santé pourraient être nettement diminués ?
On ne saura jamais vraiment la réponse. Mais toujours est-il que les chercheurs ont testé une hypothèse comparative sur d’une part 9 947 dossiers médicaux de médecins décédés en moyenne à 83 ans et d’autre part 191 426 usagers du système de soins tout venant : les médecins mieux informés et mieux préparés, choisiraient un moindre recours aux soins hospitaliers en fin de vie.
Et la conclusion de ce travail est sans appel : les médecins meurent juste comme les autres patients.
L’étude observationnelle menée entre 2008 et 2010 sur le comportement au cours des six derniers mois de vie montre que le nombre de jours passé à l’hôpital pendant les six derniers mois et les 30 derniers jours de vie ne diffère pas entre les deux populations. Le pourcentage de séjour en soins intensifs au cours de la dernière demi-année est légèrement plus élevé chez les médecins (34,6 % contre 34,4 %).
Les médecins ont eu recours un peu plus que les autres patients aux services de soins de suite (46,4 % contre 43,2 %). En moyenne, ils y ont passé 2,5 jours de plus. Enfin, ils ont reçu deux fois plus que les autres patients des soins palliatifs.
Pas de réponse rationnelle quand la fin arrive
Pourquoi ces résultats ? Pour le Dr Daniel Matlock, « les médecins sont des humains comme les autres, lorsqu’ils doivent faire face à leur fin de vie, ils peuvent être effrayés et c’est ce qui pourrait expliquer les biais entre leurs avis déclaratifs et leurs actes ». Il ajoute : « Le système devrait donner les moyens aux médecins comme aux autres patients de choisir dans leurs derniers moments une médecine moins agressive. »
Le Dr Matlock reconnaît aussi certains biais à son étude : les médecins étaient très majoritairement des hommes, d’origine caucasienne, et dont le train de vie et le niveau d’éducation étaient plutôt respectables.
Il explique pour conclure que ce travail suggère que l’approche de la fin de vie chez les médecins est plus nuancée que ce qui est diffusé dans le grand public. Il ajoute que, « même si des décisions centralisées visant à faire baisser les coûts médicaux en fin de vie sont prises, il ne faut pas s’attendre à une réponse rationnelle des patients, qu’ils soient médecins ou non ».
1) How doctors die... : http://www.zocalopublicsquare.org/2011/11/30/how-doctors-die/ideas/nexu…
2) Matlock D, Min S, Smith A et coll. How U.S. Doctors Die: A Cohort Study of Healthcare Use at the End of Life. Journal of the American Getriatrics Society. JAGS 64 : 1061-1067, 2016
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