PAR LE Pr PHILIPPE MANGIN*
« DÉPISTER », c'est rechercher une anomalie ou une maladie avant qu'elle ne soit visible ou qu'elle ne donne des symptômes. Or le cancer de la prostate évolue en trois phases. Dans la première phase, il est localisé, mais non détectable avec les outils disponibles. Dans la deuxième, il est encore localisé à la glande prostatique, mais est devenu détectable par le toucher rectal et/ou l'antigène prostatique spécifique (PSA).
C'est cette deuxième phase dite « fenêtre de curabilité » qu'il ne faut surtout pas laisser passer, car elle est relativement brève, de l'ordre de un à trois ans. Le cancer entre ensuite dans la troisième phase, où il est facilement détectable, mais devenu incurable. C'est à la fin et seulement à la fin de cette phase, hélas, que le cancer de la prostate donne des symptômes.
Pourquoi s'en préoccupe-t-on seulement maintenant ?
C'est depuis une quinzaine d'années seulement que cette question se pose réellement et il est de moins en moins possible et admissible de l'esquiver. Il y a trois raisons :
L'espérance de vie ne cesse d'augmenter.
La fréquence de la maladie augmentant de façon exponentielle après 50 ans, on comprend que cette maladie considérée autrefois comme rare soit devenue une source majeure de préoccupation avec environ 60 000 nouveaux cas par an diagnostiqués actuellement en France.
Un nouvel outil diagnostique est apparu.
L'utilisation du PSA à la fin des années 1980 représente une véritable révolution dans la prise en charge de ce cancer. Etre capable à l'aide d'une simple prise de sang, peu coûteuse, de savoir si le cancer de la prostate est « très peu probable », « peu probable », « possible », « probable », « très probable » est une chance unique. Ne pas l'utiliser pour dépister le cancer le plus fréquent de l'homme est devenu indéfendable.
Les traitements des cancers localisés sont de plus en plus efficaces et de moins en moins délétères.
Depuis une quinzaine d'années, la prostatectomie radicale est parfaitement au point et n'a cessé de s'affiner, permettant des variantes techniques adaptées à chaque tumeur et à chaque patient. Parallèlement, la radiothérapie externe a progressé de la même façon, permettant de délivrer de très fortes doses dans un volume de plus en plus précisément défini et limitant ainsi les effets secondaires. En complément de ces deux techniques traditionnelles, sont apparues trois nouvelles techniques : la curiethérapie, puis les ultrasons focalisés et plus récemment la cryothérapie.
Quels sont les objectifs du dépistage ?
Il y en a deux :
– ne pas arriver trop tard. Le cancer de la prostate ne donnant pas de symptôme lorsqu'il est localisé, comme nous l'avons vu, il faut absolument le débusquer quand il traverse la « fenêtre de curabilité ». Attendre les symptômes pour le rechercher signifie clairement que l'on accepte de ne commencer le traitement que lorsque le cancer est déjà très évolué ;
– ne pas surtraiter. La fréquence des cancers microscopiques chez l'homme âgé et l'évolution souvent lente de ce cancer impose de ne pas dépister n'importe qui et jusqu'à n'importe quel âge. Un dépistage mal ciblé entraîne inéluctablement une multiplication de traitements inutiles et délétères, sans bénéfice. Il est d'ailleurs possible, dans certains cas, d'adopter une attitude de surveillance active pour retarder l'échéance du traitement, donc des effets secondaires.
En pratique, que faire ?
En 2008, la cible idéale du dépistage est approximativement définie : entre 50 et 75 ans, par un dosage du PSA total et, si possible, un toucher rectal tous les ans, dès 45 ans dans les familles ou les populations à risque. Ce dépistage doit donc déjà faire partie de la bonne pratique médicale. Les professionnels de santé doivent le dire et le faire, les médias et les services de santé publique doivent l'expliquer par la bouche d'experts. Tout homme ayant dépassé 45 ans doit en avoir connaissance pour choisir librement d'être ou non dépisté et que n'apparaisse pas en France une regrettable et injuste dichotomie entre « ceux qui ont le tuyau et ceux qui ne l'ont pas ».
Dans l'avenir, le bien-fondé du dépistage ne sera pas remis en cause, car le cancer localisé de la prostate ne donnera toujours pas de symptômes. La baisse de la mortalité par cancer depuis quelques années dans les pays où le dépistage est répandu n'est plus discutable comme ne l'est plus, dans ces pays, la chute vertigineuse des formes métastatiques. En revanche, les modalités du dépistage évolueront. Les études européenne (ERSPC : European Randomized Study on Screening for Prostate Cancer) et américaine (PLCO : Prostate, Lung, Colorectal, Ovarian) en cours, ainsi que la découverte de nouveaux outils diagnostiques modifieront les modalités de ce dépistage : âge recommandé du début et de la fin du dépistage, outils à utiliser, fréquence, type de population… Il est très probable que ces modalités de dépistage ne seront pas standardisées, mais définies en fonction de risques statistiques connus de façon de plus en plus précise pour telle population, telle famille, voire telle personne.
* Chef du service d'urologie du CHU de Nancy, ancien président de l'Association française d'urologie.
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