LA SÉCURITÉ SOCIALE est-elle en faillite ? Le creusement à grande vitesse du déficit du régime général ces dernières années, les ravages de la crise qui tarit les recettes, le vocabulaire alarmiste, à chaque loi de financement ou réunion de la commission des comptes de la Sécu, qualifiant un « gouffre » forcément « abyssal », accréditent la thèse d’un puits sans fond condamnant le système à la réforme permanente et aux plans de redressement : déremboursements, franchises, hausse des cotisations, rationalisation de la carte hospitalière…
Ce fameux déficit de la Sécu caractérise chaque année le solde négatif entre les recettes et les dépenses du régime général. Ce manque à gagner induit un besoin de financement (emprunt), augmentant la dette sociale qui fait partie de la dette publique. Même si, au sein du régime général, ses différentes branches (maladie, retraite, accidents du travail, famille) évoluent parfois de façon contradictoire, l’équilibre global n’a quasiment jamais été atteint depuis 20 ans car la croissance des dépenses de santé est supérieure à la croissance économique moyenne sur laquelle les recettes sont assises.
À l’exception des trois cycles excédentaires de la période 1999-2001 (gouvernement Jospin), caractérisée par une forte reprise économique, le déséquilibre du régime général est devenu systématique : déjà -10 milliards d’euros en 1995 (avant le plan Juppé), -10 milliards d’euros à nouveau en 2003 (avant la réforme de l’assurance-maladie), et encore -10 milliards d’euros en 2008, -20 milliards d’euros en 2009, -23 milliards en 2010 et presque autant attendus cette année !
Il y a 40 ans, premières inquiétudes…
C’est à la fin des années 60 que les premiers déficits sont apparus dans les régimes de la Sécu. C’est notamment la raison pour laquelle, en 1967, les responsables adoptent le principe de la division comptable des risques et instituent trois « caisses » distinctes (maladie, vieillesse, famille).
À partir du milieu des années 1970, la thématique du déficit devient très présente. La prise de conscience de l’urgence d’un état des lieux régulier des comptes sociaux se confirme en 1979 avec la création de la commission des comptes de la Sécu, qui se réunit deux fois par an. Cette année-là, le « trou » de 15 milliards de francs fait déjà la « une » des journaux. L’approche budgétaire influence désormais les décisions. Simone Veil puis Jacques Barrot seront chargés les premiers de serrer les vis et les boulons (hausse de cotisations, taxes sur le médicament, gel des honoraires…)
L’histoire du déficit de la Sécu se confond dès lors avec celle des plans d’économies appliqués (notamment) aux retraites et à l’assurance-maladie. Selon certains experts, quelque 24 réformes de la Sécu (mêlant mesures conjoncturelles et structurelles) se seraient succédé depuis le premier plan Barre de 1976 jusqu’à aujourd’hui ! Certains sont restés célèbres : plans Séguin ou Juppé, réforme Douste-Blazy…
En 2004, la réforme l’assurance-maladie créant le médecin traitant prévoit, outre une meilleure coordination des soins,... de nouvelles économies drastiques partout. Mais dès 2008, il faut colmater à nouveau. Apparaissent de nouvelles franchises sur les médicaments, les actes paramédicaux et les transports sanitaires. Dans les établissements, l’augmentation régulière du forfait hospitalier et la participation de 18 euros sur les actes lourds s’inscrivent dans cette même logique de responsabilisation des assurés.
CSG et CRDS au secours.
Confronté à un déficit de plus en plus préoccupant, les gouvernements ont également actionné le levier des recettes. Le 29 décembre 1990, c’est la loi créant la contribution sociale généralisée (CSG), un prélèvement assis sur l’ensemble des revenus pour financer le régime général. Le 24 janvier 1996, nouveau choc fiscal avec la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) dont le produit est affecté à la caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), précisément chargée de la gestion des déficits et d’un rééquilibrage progressif. Il s’agit dans un premier temps de refinancer 140 milliards de francs, soit plus de 21 milliards d’euros… Cette caisse devra absorber à nouveau 13 milliards d’euros fin 1997, puis 35 milliards de déficits cumulés (jusqu’à 2004) avant le transfert record, l’an passé, de 130 milliards d’euros des déficits « de crise » et à venir… Le puits n’a toujours pas de fond.
Au milieu des années 90, la gravité de l’impasse financière a conduit également le gouvernement à réformer la Constitution afin de créer une nouvelle catégorie de lois : les lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS). Objectif : conduire la représentation nationale, à l’occasion d’un débat au Parlement, à chaque automne, à déterminer l’équilibre financier de la Sécu. Une loi organique précise la contenu de ces lois particulières : prévisions de recettes, objectifs de dépenses, et le fameux ONDAM (objectif national de dépenses d’assurance-maladie), quasiment jamais respecté depuis sa création.
Au-delà des chiffres, ce « fameux » déficit soulève d’innombrables débats. Le « trou » de la Sécu n’est-il pas instrumentalisé pour imposer des réformes qui fragilisent les mécanismes de solidarité ? Est-il un mal nécessaire dans un pays où la Sécu joue son rôle d’amortisseur social ? Faut-il des réformes radicales pour ne pas laisser cette dette aux futures générations ? Mettre un terme au monopole de la Sécu ? Augmenter les prélèvements ? Instaurer une TVA dite sociale ? Des controverses aussi gigantesques que le déficit lui-même…
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