L’informatique ? Au début des années soixante-dix, cela n’évoque pour un médecin que les sous-sols de l’hôpital qui abritent des grosses machines aux ventilateurs bruyants. Des paquets de cartes perforées entourées d’élastiques dépassent parfois des poches des blouses blanches. Sans doute, des disciples du Pr François Grémy, qui après un séjour au MIT (le célèbre Massachusetts institute of Technology), a organisé à la rentrée de 966 le premier enseignement de son Centre de calcul et de statistique à la faculté de médecine de Paris : on y découvre les machines, la progammation Fortran, les applications médicales. Le premier service d’informatique médicale, équipé d’un ordinateur, sera installé à La Salpêtrière en 1968, année de naissance de l’AIM, l’association pour les applications de l’informatique à la médecine à l’initiative des Prs Brouet, Hamburger et Castaigne. Il s’agit de promouvoir l’informatisation des activités médicales, auprès des pouvoirs publics. Après des essais d’archivage de données médicales (230 services de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris produiront, entre 1970 et 1973, 50 000 dossiers centralisés avenue Victoria où opèrent 80 perforatrices), l’informatique hospitalière prend le tournant de la gestion administrative. Les laboratoires de « Bio-statistiques et informatique médicale » qui s’implantent auprès de certaines universités ou CHU, font de la recherche.
La micro-informatique au cabinet.
L’informatique pourtant, cela fait déjà rêver quelques praticiens novateurs. Aussi, quand les premiers Apple II arrivent en France en 1977, des médecins seront parmi les premiers utilisateurs de ces machines à 30 000 francs pièce pour 48 Ko de disque dur. Le groupe Santé animé par Apple comptera jusqu’à 1 000 membres. Côté programme, c’est la débrouille. Les pionniers se font la main sur des petites machines moins coûteuses comme les Sinclair, les Comodore ou les Tandy, apprennent le basic et gèrent des dossiers patients, sur cassettes puis sur disquettes à partir de la base de données contrôle X. Le premier logiciel médical est commercialisé en 1979 ; il s’appelle Medigest, avec dossier patient, prescription minitraitement de texte, saisies des honoraires… Pour avoir la puissance nécessaire, il tourne sur un ordinateur Digital sous CP/M. Ce qui permet de gérer 2 000 patients avec 2 disquettes de 400 Ko. La société Medical Computer vend la configuration complète 100 000 francs. Médigest prendra son essor avec l’arrivée des premiers IBM PC en 1981 et de MS-DOS en 1982. Le PC ne s’est pas encore imposé comme standard et l’on assiste à une floraison de marques dont l’Atari qui aura quelque succès chez les médecins. Dès 1979, se crée l’association médicale d’informatique individuelle (AMII) à laquelle « le Quotidien » offrira des pages blanches pendant plusieurs années. Elle édite son propre bulletin le « BIT-COMPUT ». Tout un programme…
À premier salon de l’informatique médicale en 1984, dans le cadre du 12e MEDEC, on recense un millier de médecins informatisés. C’est l’année où Apple sort son premier Mac dont l’interface intuitive fait sensation. Comme le logiciel MediMac, développé pour ce nouvel environnement et commercialisé par Œdip Cerem. C’est l’ancêtre de MediStory. Las, dix ans plus tard, le taux de médecins informatisés ne dépasse pas 15 %. Rarement intégrée dans le cursus médical, la pratique de l’ordinateur continue à susciter des craintes et la dispersion du marché (on dénombrera jusqu’à 300 logiciels médicaux !) n’arrange rien.
SESAM-Vitale, la carotte et le bâton.
Le fait d’imposer aux professionnels de santé, par ordonnance en date du 24 avril 1996, dans une logique gestionnaire et productiviste, la télétransmission de feuilles de soins électroniques (FSE) avec une prime à l’informatisation, aura-t-il eu un effet accelérateur ou retard sur l’informatisation des médecins ? Avec le recul, si l’on considère qu’à la fin de février 2011, 84,98 % des généralistes et 64,89 % des spécialistes télétransmettent, on pourra penser qu’il y a eu une forte progression… sur 15 ans. Mais, cela aura eu aussi pour effet de brouiller les relations entre le médecin et sa caisse primaire d’assurance-maladie. La taxe à la feuille des soins papier applicable au 1er janvier 2011 en est le dernier épisode. Les dysfonctionnements et les migrations fréquentes de SESAM-Vitale, qui suit en priorité la politique de santé (codage CCAM, parcours de soins, etc.) et ne fait que rattraper les standards du marché (USB, Windows 7, etc.), ont mobilisé l’énergie des éditeurs de logiciels métiers, au détriment d’autres améliorations ergonomique ou technologique. Aujourd’hui encore, nombre de médecins, même informatisés et connectés à Internet, ne tiennent pas de dossier informatisé. Faudra-t-il leur en proposer un sur ardoise (terme français officiel des tablettes tactiles comme l’iPad) pour les séduire ?
Le DMP et le partage d’information.
Si la relance du DMP (Dossier médical personnel) réussit et si l’appétence du public ne s’émousse pas (les 3/4 des Français y sont favorables), l’heure du partage de l’information semble enfin avoir sonné.
Les plans de modernisation Hôpital 2007 puis 2012 ont ouvert la voie de l’hôpital numérique : informatisation du dossier médical, dématérialisation des comptes rendus, PACS pour les images. De nouvelles agences, (l’ASIP Santé, l’ANAP) ont été chargées de la nouvelle gouvernance. Établissement et libéraux devraient converger. Les maisons de santé pluridisciplinaires ont fait surgir de nouveaux besoins de partage. Qui dit échange de données médicales, dit aussi messageries sécurisées. La plus diffusée, Apicrypt a fait 30 000 adeptes. Les messageries homologuées avec CPS, 3 500. L’Ordre offre aux médecins une adresse en medecin.fr. L’ASIP Santé propose les MSSU (messageries sécurisées de santé unifiées) dont on attend le référentiel.
L’émergence de la télémédecine.
Depuis la parution du décret relatif à la télémédecine en octobre 2010, la télémédecine a le vent en poupe notamment auprès des responsables politiques. Les ARS doivent mettre en place de futurs programmes de télémédecine pilotés par la DGOS (Direction générale de l’offre de soins). L’ASIP Santé financera des projets après sélection par appel d’offres (en cours).
Un nouveau secteur du téléconseil médical monte au créneau avec des sites comme Médecin direct ou Wengo qui mette en contact l’internaute avec un médecin au téléphone ou sur le web. Pour le CNOM, le téléconseil s’apparente à une prérégulation payante en amont du centre 15 gratuit. Il ne faut surtout pas le confondre avec la téléconsultation, identifiée comme une des solutions au problème de la désertification médicale mais qui sera strictement encadrée. De même que la télésurveillance des maladies chroniques utilisant des dispositifs médicaux communicants avec les smartphones des médecins.
Allo Dr iPhone, c’est votre patient connecté ? Dites@.
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