LE NUMERUS CLAUSUS, du latin signifiant littéralement « nombre fermé », naît officiellement en 1971. Il voit le jour sous l’impulsion de Robert Boulin, ministre de la Santé du gouvernement de Jacques Chaban-Delmas. L’idée de limiter le nombre d’étudiants en médecine a germé quelques années auparavant dans les esprits d’universitaires. Certains pensent alors que la France compte trop de médecins.
Le Dr Alain Guglielmi, médecin généraliste à Libreville, au Gabon, se souvient de la période agitée qui a précédé la mise en place du numerus clausus. En 1971, il est élu président de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF). « Nous étions revendicatifs et nous nous sommes associés à l’UNEF qui poussait plus à la roue que nous, commente le médecin. Tout le monde voulait un numerus clausus sauf les étudiants qui y voyaient une guillotine. »
Les étudiants se mobilisent. Lors de son assemblée générale en novembre 1971, l’ANEMF vote pour les manifestations. L’association reproche au numerus clausus d’être fondée « sur la seule estimation des capacités hospitalo-universitaires sans tenir compte des possibilités extérieures aux CHU ».
« Cette réforme est apparue en même temps que la réforme de l’internat et à l’époque, le gouvernement redoutait de ne pas pouvoir offrir une place à tout le monde, poursuit le médecin. Je me souviens que l’on a fait plusieurs grèves. Malheureusement, tout le monde n’était pas d’accord. La moitié des étudiants restaient chez eux pour travailler leurs examens. À vrai dire, ce n’était pas une grève militante. »
Le mouvement de protestation étudiant s’éteint au début de l’année 1972. Rétrospectivement, le Dr Guglielmi juge que les étudiants ont eu raison de s’opposer au numerus clausus. « Même à Paris, il y a maintenant des déserts médicaux, s’exclame-t-il. Des amis médecins de Bordeaux vont prendre leur retraite et ils ne seront pas remplacés. »
« Pas la compétition que l’on connaît aujourd’hui ».
« Le Quotidien » a retrouvé un médecin qui a franchi les fourches caudines de ce premier numerus clausus. Il y a 40 ans, le Dr Loïc Legall, généraliste à Menton (Alpes-Maritimes), s’apprêtait à passer ses examens de première année à la faculté de médecine de Nice. « Cela me rappelle de bons souvenirs, confie-t-il. Je revois cette période comme très décontractée. La notion de concours n’était pas présente. Ce n’était pas encore l’ambiance de compétition que l’on connaît aujourd’hui, nous étions solidaires, nous nous prêtions les cours. » Le Dr Legall se souvient de cette époque comme si c’était hier. « Je sortais de terminale D. Nous étions plus de 1 000 étudiants et les amphis étaient bondés. C’était très déjà très sélectif à l’époque. Je me souviens qu’il y avait 120 places en médecine et une quarantaine en dentaire. Je me suis fait des frayeurs car j’ai eu un 3,75 sur 20 en biophysique mais je me suis bien rattrapé. J’ai terminé l’année avec 12 ou 13 sur 20 de moyenne et je me suis classé 70e ». Tous les camarades de Loïc Legall n’ont pas eu la même réussite. « L’un d’entre eux est devenu prof de maths dans le privé. »
En dépit des manifestations étudiantes, les choses rentrent dans l’ordre au début de l’année 1972. À la grande satisfaction des enseignants qui plaidaient pour la mise en place d’une sélection. Le Pr Georges Mathé, cancérologue, explique les raisons de son enthousiasme dans une édition du « Quotidien du Médecin » de novembre. « C’est une grande victoire de la médecine française que nous allons enregistrer car depuis mai 1968, les études ont perdu une grande partie de leur sérieux ; nous avons des étudiants qui n’ont pas été suffisamment formés aux méthodes scientifiques. Ils vont être qualifiés quant à leurs qualités de futur médecin, cette sélection était indispensable. »
Une barrière contournée.
En 1972, le Dr Jean-Claude Régi, président de la FMF, débutait sa carrière de médecin et de syndicaliste. « Le numerus clausus nous a embêtés à l’époque et il continue de le faire, commente-t-il. La pensée dominante était de dire qu’en restreignant le nombre de médecins, on allait renforcer la place des praticiens en place. Ce n’est pas ce qui est arrivé. Aujourd’hui nous manquons de médecins et personne ne s’émeut que des étudiants soient recalés avec 13 sur 20 de moyenne alors que dans le même temps, nous recrutions des médecins à l’étranger [lire aussi ci-contre]. » Le Dr Dinorino Cabrera, président fondateur du SML en 1981 jusqu’en 2008, s’est toujours différencié de ses collègues en défendant le numerus clausus. « Trop de médecins qui ne font pas assez d’actes, cela entraîne un consumérisme inutile, affirme-t-il. Je suis convaincu que dans un système de Sécurité sociale, il faut un système de conventionnement à l’installation avec le numerus clausus. On ne peut pas obliger quelqu’un à s’installer quelque part mais on peut limiter le nombre de médecins. Plusieurs professions – les notaires, les pharmaciens et depuis peu les infirmières – ont réglementé l’installation. Il faut que ce débat ait lieu. » Le numerus clausus est toujours en débat aujourd’hui. Roselyne Bachelot s’interrogeait il y a quelques années sur l’opportunité de le porter à 8 000 avant de se raviser faute de terrains de formation. Lors de récents états généraux du numerus clausus, il a été envisagé de le maintenir pendant 4 à 5 années à 7 400 avant vraisemblablement de le diminuer progressivement de 100 à 200 postes (« le Quotidien » du 29 novembre 2010).
Mondialisation oblige, plusieurs centaines d’étudiants français ont trouvé la parade pour contourner le numerus clausus. Ils partent se former à l’étranger (Roumanie, République Tchèque, Croatie…) et reviennent en France passer les épreuves classantes nationales. C’est la parfaite illustration des limites du système.
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