DEUX DATES, deux bâtiments.
1971 : l’hôpital Antoine-Béclère est inauguré à Clamart, dans les Hauts-de-Seine. Son architecte est Henri Pottier ; trois ans plus tôt, il a aussi construit Henri-Mondor, à Créteil (Val-de-Marne). L’édifice est en béton, massif : il se compose de cinq « plots » sur pilotis ramassés sur eux-mêmes. On dirait une Cité radieuse « miniature »…
2011 : pensé par les architectes du « Groupe 6 », l’hôpital Sud-francilien, en Essonne, se prépare à ouvrir ses portes. Étagé sur la pente naturelle du terrain, il compte six niveaux seulement. Le bâtiment est écologique (il sera chauffé à 80 % en énergie renouvelable par une chaudière utilisant du bois et de la paille) ; il est long et plat, troué ça et là de cours intérieures ; sur certaines parties de ses 15 000 m2 de toiture poussent des pelouses.
Ainsi va la construction hospitalière. Avec les années, elle mute de façon spectaculaire, poussée à se transformer par des forces diverses et parfois contraires qui s’ajoutent à l’évolution des conceptions architecturales pures. Les progrès de la médecine jouent leur rôle, et en particulier les progrès techniques – on se souvient à ce sujet des mésaventures de l’hôpital européen Georges-Pompidou (l’HEGP, dans le XVe arrondissement de Paris) où, en 2000, au terme d’un (long) chantier, il était apparu que les hauteurs sous plafond n’étaient plus adaptées aux scanners dernier cri que le bâtiment devait accueillir. La disponibilité et le prix des terrains entrent aussi en ligne de compte. Et les réformes hospitalières redessinent les bâtiments : au début des années 1970, les grands chantiers restent influencés par les ordonnances de 1958 (la réforme « Debré ») et reflètent la « toute-puissance » de la médecine. Le bâtiment indique également la fonction que la société a dévolue à l’institution : il y a quarante ans, la technique est reine des reines et les bâtiments s’articulent autour d’elle, quitte à tourner le dos au monde extérieur. L’économie (de moyens mais aussi de temps) est un autre argument : viendra un jour où, pour ces motifs-ci, les ascenseurs, chevilles indispensables des grandes tours comme des grandes barres, deviendront la plaie des hôpitaux. Les normes, les nouvelles vigilances… orientent le travail des architectes.
Robert-Debré, la référence.
Portée par ces vents, la forme des hôpitaux a connu des étapes décisives. 1977 marque un tournant. C’est l’année de la loi sur l’architecture : les concours d’architectes arrivent à l’hôpital ; le recrutement des bâtisseurs hospitaliers s’en trouve soudainement élargi. Finis (ou presque) les modèles « clef-en-main », les hôpitaux dits « industrialisés » de type « Beaune », « Fontenoy » ou « Duquesne », reproduits à l’identique aux quatre coins de la France (une trentaine d’établissements ont été construits dans les années 70 selon ces trois types de plans), les « unités de soins normalisées » importées toutes faites se tarissent. Avec l’ouverture des concours, les idées jaillissent. L’accueil et le confort des malades deviennent, bien plus qu’auparavant, une préoccupation. Les bâtiments vont se diviser pour séparer technique et hébergement. Construit dans le XIXe arrondissement de Paris entre 1982 et 1988, l’hôpital pédiatrique Robert-Debré est le symbole de cette évolution. Nombre de ses innovations seront copiées jusqu’à aujourd’hui. À commencer par la « grande rue » qui traverse l’édifice et grâce à laquelle l’architecte Pierre Riboulet expliquait avoir « apporté la pénétration de l’espace public dans l’hôpital public ». Avec Robert-Debré, la grande barre est déstructurée, l’éclairage naturel est privilégié. Une marche supplémentaire est franchie ces dernières années – et l’hôpital Sud-francilien en est un exemple – avec l’intégration des bâtiments dans leur environnement à la fois urbain et social. Non contents d’avoir explosé, les monolithes des années 1970 ont cédé la place aujourd’hui à des bâtiments dans leur forme presque comme les autres.
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