LES GRANDS moments qui ont présidé aux découvertes des transplantations hépatiques sont arrivés de façon presque fortuite, évoque le Pr Bismuth. Ainsi, en 1979, les immunosuppresseurs n’avaient pas été inventés et la mortalité de la TH était effroyable. On se remémore les propos du Pr Sheila Sherlock, aussi une pionnière dans l’hépatologie mondiale, qui disait à l’époque que si un malade transplanté hépatique vivait six mois après l’intervention, il avait beaucoup de chance.
Une première avancée importante se situe en 1979, concernant un malade souffrant d’une cirrhose très grave sur hépatite B, au stade terminal. Sa seule chance est une TH très rapide. Le seul donneur que l’on trouve est un enfant de 6 ans, au foie pesant 500 g pour un malade de 80 kg. « L’idée m’est venue de mettre le foie du donneur au-dessous du foie du receveur, ce qui était original, car on le mettait plutôt à la place de la rate. On savait que cela marchait encore mieux en le mettant au plus près du cœur, mais la situation intra-abdominale était innovante. Le miracle est que le malade a survécu, avec une reprise des fonctions hépatiques. » Cette transplantation « hétérotopique auxiliaire » a été publiée, avec l’idée que l’on pourrait faire une hépatectomie du foie du receveur en conservant les vaisseaux si le foie est trop volumineux.
Les réussites obtenues en faisant cela ont conduit à un nouvel acquis : « On peut faire la réduction du foie " à la carte " en fonction de la place dont on dispose. En 1981, nous avons opéré Martial, un enfant de 12 ans, pour la première fois en réduisant la taille du foie du donneur adulte. »
Dès 1984, la technique du foie réduit pour la transplantation hépatique de l’enfant était adoptée dans le monde. C’était une percée révolutionnaire pour la TH pédiatrique. Les enfants en liste d’attente pour une TH ne mouraient plus. Martial est le doyen des TH en France, il a 42 ans et il va très bien avec de très petites doses d’immunosuppresseurs.
D’un autre côté, cela a permis de faire évoluer le concept de la TH en faisant rentrer la TH dans le domaine de la chirurgie du foie.
Une hépatite fulminante, un 1er mai.
Une autre percée « par hasard », est survenue en 1989, à l’occasion du cas d’une femme qui fait une hépatite fulminante. « C’est un 1er mai, il n’y a pas de greffon disponible en France. Mais il y avait un consensus entre toutes les équipes, l’hépatite fulminante est une super-urgence, une priorité absolue, donc on avait convenu entre nous de donner la priorité à l’équipe qui rencontrait ce problème. »
« J’avais l’habitude du foie réduit. Le greffon disponible était celui d’un homme à Berne, un foie de 2 kg. Voilà que se présente une deuxième hépatite fulminante. Je m’apprêtais à faire un foie réduit, mais du coup, j’ai eu l’idée de partager ce foie volumineux, en partageant aussi les vaisseaux et de transplanter chaque moitié chez les deux malades. »
Lorsque le Pr Bismuth publie cette nouvelle technique, un allemand avait fait la même chose deux mois auparavant, partageant un foie entre un adulte et un enfant.
« Si on peut imaginer faire vivre deux transplantés avec un seul foie, on peut avoir l’idée de la transplantation à donneur vivant. »
« Ce qui est intéressant est que chaque fois que nous avons progressé, cela a confirmé les notions évoquées pour l’évolution par François Jacob. Les avancées ont correspondu à l’association d’une nécessité et d’un hasard. Tout cela rend nécessaire l’adaptation. »
Propos recueillis auprès du Pr Henri Bismuth (Président de l’Académie de Chirurgie), qui a réalisé les premières greffes hépatiques à l’hôpital Paul Brousse (Villejuif).
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