DEPUIS plus de 50 ans, les nombreux progrès médicaux ont posé de nouvelles certitudes modifiant considérablement les exigences et la nature des relations entre professionnels de santé et patients. À mille lieux d’un paternalisme médical d’antan, le patient victime d’événement indésirable ou d’accident médical ne se résigne plus à une certaine fatalité. Plusieurs procès retentissants de grandes crises sanitaires – sang contaminé, hormone de croissance, Clinique du sport – ont popularisé l’idée que la médecine était exposable à l’investigation judiciaire. Si bien qu’au fil de l’évolution de la jurisprudence, les procès en responsabilité médicale tendent aujourd’hui à se multiplier.
Tout a vraiment commencé en 1936 où l’arrêt Mercier porte en germe une intensification de la responsabilité médicale en soumettant le médecin à une « obligation de soins conforme aux données acquises de la science ». Néanmoins, l’aléa thérapeutique justifie une absence d’obligation de résultat et le patient doit toujours démontrer une faute caractérisée du médecin pour engager sa responsabilité. Tout au long des années 1990, de nombreux arrêts rendus par diverses juridictions vont sensiblement faire évoluer cette notion de responsabilité médicale. L’un d’entre eux, rendu le 10 avril 1992 par la Cour de cassation admet à titre exceptionnel une obligation de résultat du médecin, s’agissant des matériels et autres prothèses dont le médecin fait usage dans sa pratique de soins.
Quelques décisions judiciaires vont renforcer l’obligation de sécurité dans un premier temps dans les centres de transfusion sanguine (arrêt du 12 avril 1995, Chambre civile), puis en cas d’infection nosocomiale (arrêt du 29 juin 1999, Chambre civile). D’autres arrêts vont alourdir l’obligation d’information du médecin, les juges trouvant souvent par cette voie un palliatif à l’impossibilité de reprocher au médecin une faute dans l’exercice de son art. Un cap est franchi le 17 novembre 2000 avec l’arrêt Perruche, où la responsabilité d’un médecin se retrouve engagée lors du diagnostic prénatal à l’égard d’un enfant né avec un handicap.
Aléa thérapeutique.
Puis vient la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades et qualité du système de soins, qui atténuera la portée de cet arrêt. Dans un contexte de complexification croissante de la responsabilité médicale, cette loi créée un mécanisme de règlement amiable du contentieux (accidents médicaux, affections iatrogènes, infections nosocomiales) entre patient et professionnel ou établissement de santé. Saisissable directement par la victime, ces commissions ont été pensées pour limiter le recours à une juridiction pénale, civile ou administrative grâce aux commissions régionales de conciliation et d’indemnisation (CRCI) et permettre une indemnisation rapide. La loi de 2002 introduit surtout un droit à l’indemnisation en cas d’aléa thérapeutique. Instauré par un décret du 29 avril 2002, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes (ONIAM) offre ainsi une voie d’indemnisation pour les contentieux n’engageant aucune responsabilité directe du médecin ou de l’établissement. L’assurance responsabilité civile est par ailleurs rendue obligatoire pour tous les professionnels de santé.
Avec l’explosion des primes d’assurance et l’émergence d’importants trous de couverture pour certaines spécialités – chirurgie, anesthésie, obstétrique – un sentiment d’excessive judiciarisation propice à l’exercice d’une médecine dite « défensive » s’est renforcé dans la profession. Si le contentieux a effectivement augmenté, les condamnations demeurent assez rares et concernent toujours des fautes graves avec des conséquences de décès ou d’invalidité. Souvent très médiatisés, ces cas nourrissent un climat tendu que les fréquentes hausses de prime d’assurance ne font qu’entretenir. Or, ces hausses tiennent moins à la croissance des contentieux qu’à la dégradation de l’équilibre financier interne des assurances. De plus, les données avancées pour témoigner de l’augmentation des contentieux restent le plus souvent fournies par des compagnies d’assurance impliquée dans le marché de la RCP. Outre l’émergence d’une base de données institutionnelle de référence à ce sujet, il paraît aujourd’hui primordial qu’un climat de confiance renaisse entre professionnels et patients. L’année 2011 dédiée aux patients et à leurs droits pourra-t-elle mettre fin à des décennies de malentendu ?
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