C’EST UNE CAMÉRA introduite dans l’abdomen qui a ouvert les yeux du Pr Jacques Marescaux. « En 1988, j’assiste à la première présentation de laparoscopie, qui est née en France et là, j’ai eu un flash. Ce n’est pas l’aspect mini invasif qui m’a bluffé mais la caméra et son optique qui permettait, d’au moins 5 fois, une magnification de l’image. D’emblée, j’ai senti qu’une nouvelle ère de la chirurgie s‘ouvrait, la révolution de l’image était en route. Il fallait retrousser ses manches et travailler cette technique. La chance est avec nous. J’ai toujours eu un esprit de partenariat avec les industriels. Une firme industrielle américaine qui fabriquait des instruments nous prête trois tours complètes de laparoscopie, matériel qu’on n’aurait eu que deux ans après par le canal hospitalier. C’est grâce à elles qu’on a pu commencer la chirurgie laparoscopique, juste après les pionniers.
« À l’époque, il n’y avait pas de place pour la science informatique. L’INSERM s’installait déjà dans une recherche plus fondamentale qu’appliquée. La chirurgie n’était pas assez noble. Alors on a créé l’Ircad (1) en 1991. Nous n’avions aucune notion de financement et on a pris beaucoup de risques. On a sollicité le président de cette même firme américaine qui nous a envoyé des billets pour faire le voyage en Concorde, luxe inouï, et nous voilà parti avec le directeur de l’hôpital et le doyen de l’université. Je nous revois encore autour d’une immense table réunissant le président américain, son épouse, tout le staff, les questions qui fusaient dans leur accent new-yorkais, moi qui discutais comme je le pouvais avec mon anglais approximatif. On a demandé timidement une somme qui devait nous aider pour les dix ans à venir. Cela les a fait sourire, ce n’était pas énorme mais nous ne le savions pas. Ils ont dit banco ! C’est notre partenaire depuis seize ans. Ensuite, ce sont les collectivités locales qui nous ont soutenues car nous sommes devenues une locomotive économique de la région. C’est une histoire fabuleuse car notre galère financière a rapporté de l’argent à la ville. Début 1994, nous avions très peu de financement prévu pour l’année. Nous n’avons jamais eu de subventions publiques. On fonctionnait avec mon épouse, bénévole, et une secrétaire à temps partiel (140 personnes travaillent actuellement à l’Ircad).
Former des chirurgiens
« Pour continuer à développer nos recherches dans les nouvelles technologies mini-invasives alliant l’image, la robotique et l’instrumentation, il fallait trouver des rentrées d’argents régulières. D’où l’idée de former les chirurgiens à ces nouvelles techniques mini-invasives comme les avionneurs forment les pilotes à un nouvel appareil. Personne n’aurait imaginé que notre école aurait un tel succès. Le secret de notre réussite a été de faire d’emblée nos cours en anglais avec des experts internationaux. Les cours sont d’un très haut niveau. C’est actuellement la plus grande école de chirurgie mini-invasive au monde. L’an dernier nous avons formé 4 000 chirurgiens de 94 nationalités différentes. Cela fournit à la région 15 000 nuitées par an en hôtel 4 étoiles. Inutile de vous dire qu’on est bien vus. Grâce au fonds de cette branche éducative, l’Ircad développe depuis seize ans trois axes de recherche translationnelle, la chirurgie par voie naturelle, la robotique et la réalité augmentée.
Cholécystectomie par voie vaginale
« En 2007, nous sommes la première équipe mondiale à réaliser une intervention sans cicatrice, une cholécystectomie par voie vaginale. Cette voie d’abord a eu un succès phénoménal en Allemagne, en Espagne, aux États-Unis, en Amérique latine, au Brésil dans les pays asiatiques où la cicatrice est mal vécue mais en France, c’est un flop.
Mais pour nous cette chirurgie a été un modèle extraordinaire de recherche transversale car elle nous a confronté à la difficulté de maniabilité des endoscopes flexibles. L’intervention a nécessité l’utilisation d’un endoscope flexible muni d’instruments longs (1,50 m) qui ont pénétré la cavité abdominale pour remonter jusqu’à la vésicule. Leur maniabilité et leur orientation spatiale sont très difficiles pour le chirurgien. On a réussi à convaincre le CNRS et l’université de Strasbourg qui ont délégué 32 ingénieurs roboticiens à l’Ircad afin de mettre au point un modèle d’endoscope flexible robotisé. Le robot classique va améliorer la faisabilité de la chirurgie par voie naturelle en limitant le nombre d’opérateurs. Un seul sera utile au lieu 4 chirurgiens réunis pour la première mondiale. Mais la chirurgie par voie naturelle ne s’arrête pas à la vésicule biliaire.
« On prévoit de faire des chirurgies carcinologiques du rectum par voie anale. On travaille aussi l’accès par l’ombilic, en utilisant un seul trocart pour faire passer instruments et caméra au lieu de 5 ou 6 actuellement pour la chirurgie du colon. Notre force que nous envient les Américains est de travailler au bloc opératoire avec des ingénieurs, des chercheurs de l’image et des roboticiens, des spécialistes des modèles tumoraux. Ils sont au bloc tous les jours, à notre staff, ils sont complètement immergés dans le vrai quotidien du chirurgien. Ce sont des jeunes qui trouvent des solutions à tout pour rendre la manipulation plus aisée. Moyenne d’âge : 32 ans.
Une autre révolution est à venir. Elle passe par un changement de mentalité avec la fusion, par exemple, de trois de ces spécialités : chirurgie digestive, gastro-entérologie, radiologie interventionnelle pour créer une spécialité hybride dont l’objectif commun est l’approche mini invasive.
Il faut échanger les connaissances de chacun et inclure les ingénieurs. Avec eux tout est possible, ils réalisent tous vos rêves, c’est une question de temps », conclut avec enthousiasme le Pr Jacques Marescaux.
(1) Chef du service de chirurgie digestive et endocrinienne des hôpitaux universitaires de Strasbourg et président de l’IRCAD : Institut de Recherche contre les Cancers de l’Appareil Digestif
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