« L’ÉPIGÉNÉTIQUE est l’une des biotechnologies nobélisables dans les décennies futures, s’exclame dans un entretien avec « le Quotidien » Joël de Rosnay, biologiste renommé, président de Biotics International, ancien directeur des Applications de la Recherche pendant presque 10 ans à l’Institut Pasteur, actuellement conseiller de la présidente de la Cité des Sciences et de l’industrie et auteur de nombreux ouvrages scientifiques grand public. Après l’étape initiale de la génétique qui a décrit l’ADN, l’épigénétique explique comment l’expression des gènes est modulée par les facteurs extérieurs. Si les mutations modifient la structure des gènes, certains comportements peuvent changer profondément l’expression génétique. Pour les principaux, ce sont la nutrition, l’exercice, le management du stress, l’environnement social et le sommeil. Ils agissent en entraînant la formation de molécules qui allument ou éteignent les gènes. » L’épigénétique ou quand la science promeut un nouvel art de vivre ? « Chacun a en lui la possibilité de renverser le cours des choses, de prévenir l’apparition de maladies et de ralentir le phénomène de vieillissement ».
Deux autres avancées biotechnologiques ont marqué la recherche en médecine ces 5 dernières années. « Ce sont les cellules embryonnaires et la biologie de synthèse, poursuit le chercheur. Il est devenu possible de reprogrammer des cellules adultes différenciées en cellules souches. On les appelle les cellules souches pluripotentes induites, ou iPS en anglais. Les chercheurs savent désormais transformer des fibroblastes en myocytes ou en encore en rétinoblastes en repassant par la case cellules souches. La médecine régénérative représente l’une des clefs dans les 20 à 30 ans à venir. » La biologie de synthèse élabore des produits complexes, comme des anticancéreux, en reprogrammant non pas une cellule, mais un gène défectueux et toute la chaîne de montage connexe.
Bioinformatique et mondialisation.
« La pluridisciplinarité est au cœur des biotechnologies. Génétique, informatique, tout est lié. » Joël de Rosnay en prend la mesure très tôt, lorsque, jeune chercheur en biologie moléculaire, il quitte l’institut Pasteur pour le Massachusetts Institute of Technology (MIT), qu’il intègre en tant qu’enseignant chercheur dans le domaine de la biologie et de l’informatique sur les conseils de Jacques Monod, Prix Nobel de Médecine en 1965. L’essor des biotechnologies ne saurait exister sans la bioinformatique. Fort de cette certitude, quelques années plus tard en 1982, le scientifique crée Biotics International. « Les nanotechnologies nous ont permis de reconstruire un matériau, atome par atome selon la technique du "bottom-up" se remémore le chercheur. La notion de reprogrammation était ainsi en train d’émerger. » Le phénomène de mondialisation a également accéléré la communication et les échanges dans le domaine de la recherche. « Le décryptage du génome est archivé et partagé à l’échelle mondiale, explique Joël de Rosnay. Depuis l’explosion d’internet dans les années 1990, les chercheurs peuvent comparer et confronter leurs résultats avant même publication. »
Les synergies des « alicaments »
Parallèlement à la découverte de l’épigénétique, la nutrigénomique s’est beaucoup développée. « Certains aliments, comme le curcumin, le thé vert, le soja, le resvératrol du vin rouge ou le jus de grenade ont un effet sur les gènes, détaille Joël de Rosnay. On a découvert que le jus de grenade a un effet préventif sur le cancer de la prostate, le thé vert sur les maladies cardio-vasculaires. » La biologie moléculaire vient ainsi confirmer les bienfaits de la médecine traditionnelle. « La biologie moléculaire met en avant le rôle des synergies, souligne le scientifique. En associant le curcuma au poivre noir, on multiplie leurs effets par 1000 ! »
Autre piste pour la prévention, les tests ADN avec les biopuces. « Aux États-Unis, on les appelle maintenant les " drugstores tests ", souligne le scientifique intéressé et inquiet du phénomène. Ils envahissent le marché et pour 1 000 dollars il sera possible en 2015 d’avoir une carte de son génome. Mais que faire d’une information livrée brute ? Que faire si l’on est porteur d’une susceptibilité génétique ? Un avis médical s’impose. Une masse d’informations trop lourde est aussi polluante qu’un manque de données. L’enjeu est désormais de mettre au point des outils permettant d’interpréter et d’exploiter ces informations. »
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